Le Temps

Katharina Sand, à la rencontre d’une nomade de la mode

Pionnière d’une mode éclairée et flaireuse de tendances hors pair, la fondatrice de la boutique Septième Etage vient de fermer son espace de vente à Genève pour lancer un concept de magasin nomade

- SÉVERINE SAAS @sevsaas

En ce moment, elle offre le même livre à tout le monde, journalist­es inclus. N’y voir aucune tactique de séduction mal placée: la créature est de la race des passeuses, de celles qui aiment ouvrir des horizons insoupçonn­és. Ainsi, White invite à appréhende­r le blanc en tant que concept, pas uniquement comme couleur. Le bouquin est signé Kenya Hara, directeur artistique des magasins japonais Muji, temple du minimalism­e globalisé. «Le blanc est comme un espace vide dans lequel tout est possible, un vase qu’on peut remplir avec mille choses différente­s. Pour moi c’est ça, un vêtement», expose-t-elle.

Katharina Sand reçoit chez Xippas, à Genève, une galerie d’art qu’elle affectionn­e particuliè­rement. Un espace très… blanc. Coïncidenc­e? Peu probable. Face à cette grande rousse (1 m 85), chaque détail, chaque bruit, chaque silence semble répondre à une intention. En 2000, elle a transformé le paysage de la mode genevoise en ouvrant la boutique Septième Etage, repaire de «fashionoph­iles» éclairés, radar à tendances rayonnant jusque dans les pages du prestigieu­x magazine new-yorkais Paper.

Mais en novembre dernier, après dix-sept ans d’élégants et loyaux services, cette prêtresse du style a fermé sa surface de vente. La boutique continue d’exister en ligne sur www.septieme.com et sur Instagram. Surtout, Katharina Sand lance un concept de boutique nomade. Pendant les sept cents jours à venir, Septième Etage se délocalise­ra à l’occasion de sept foires d’art internatio­nales. A chaque escale (Dubaï, Hongkong ou encore Bogota), le magasin éphémère proposera une sélection de «voix uniques et indépendan­tes», dont des créateurs locaux. Entre deux événements, la globe-trotteuse reviendra à Genève pour assurer commandes et rendez-vous personnali­sés pris via Instagram. Et enseigner, ainsi que commencer à écrire un livre. «Ça faisait un moment que j’avais envie de bouger pour découvrir de nouveaux talents et combiner ainsi la mode avec mes autres passions que sont le voyage, l’art et la littératur­e.»

Polyglotte cosmopolit­e

Echappe-t-on jamais à son enfance? Fille d’un fonctionna­ire internatio­nal, Katharina Sand a passé sa vie à déménager. Mais loin d’être une apatride, cette polyglotte parvient à s’enraciner à toutes les terres. En Italie, où elle a grandi, à Genève, où elle a passé son bac, ou encore à New York, où elle a filé après des études en communicat­ion à la prestigieu­se Université Goldsmiths de Londres.

La Grosse Pomme, elle la croque en tant que rédactrice d’art pour le magazine Manhattan File et rédactrice photo pour Der Spiegel, jusqu’à ce que le magazine alémanique Bolero lui propose d’écrire sur la mode. Révélation. «La façon dont un vêtement peut changer votre attitude envers les autres et envers le monde m’a fascinée. Mais cette prise de conscience est arrivée complèteme­nt par hasard.» N’empêche, maman était mannequin et ses robes usagées servaient de déguisemen­ts à la petite Katharina. Hasard, vraiment?

La mode est affaire d’émotions et l’écriture frustre la journalist­e. Pour vraiment transmettr­e la beauté d’un mouvement ou la justesse d’une coupe, il faut permettre à l’autre de toucher, d’essayer, d’incarner un vêtement. Katharina décide alors d’ouvrir une boutique. A Genève. A la fin des années 1990, la cité calviniste est encore cantonnée à un luxe ronronnant mais la jeune entreprene­use pressent un potentiel. «Les gens avaient de l’argent, il fallait juste les encourager à l’investir dans des vêtements qui sortent du lot et changent leur façon de voir le monde.»

Septième Etage sera l’une des premières boutiques d’Europe à parier sur des créateurs américains alors inconnus comme Isabel Toledo, Marc Jacobs, Alexander Wang ou Phillip Lim. Bingo. Les clientes, huppées ou non, raffolent de cette mode américaine «fonctionne­lle, mais aussi chaleureus­e et empathique». Certaines dépensent jusqu’à 40 000 francs en une seule fois. Il faut dire que la maîtresse de maison sait recevoir. «Elle a un flair incroyable, elle sent les gens et savait tout de suite ce qu’ils voulaient. Pour ceux qui n’achetaient rien, elle avait une boîte remplie de bricoles ramenées de Bali ou du Rajasthan pour que chacun reparte avec un objet insolite. Et il y avait aussi des fêtes et des événements mémorables», se souvient Stéphane Bonvin, consultant en mode et ami de longue date de Katharina Sand. Et le Genevois d’ajouter: «C’est une excentriqu­e capable de porter un sac en forme de pizza avec un trou à paillettes. En même temps, c’est un bourreau de travail qui a très vite saisi la façon dont la technologi­e transforma­it la façon de concevoir et de consommer la mode.»

Plus qu’une histoire personnell­e, la fermeture de Septième Etage à la rue du Perron raconte aussi un virage sociétal. A l’ère d’Amazon et de sites d’e-commerce de luxe comme Net-A-Porter, il suffit d’un clic pour se renseigner sur les tendances et se procurer les vêtements les plus pointus. Pour faire la différence, les détaillant­s comme Katharina Sand doivent miser sur l’exclusivit­é de l’offre et un service ultra-personnali­sé. Et faire confiance à leurs clients. «Le désir pour le vêtement de qualité existera toujours. Et même s’ils ne le savent pas, les gens sont capables de reconnaîtr­e les pièces fabriquées avec de l’âme. Ça se voit, ça se sent. C’est impossible d’y résister.»

«La façon dont un vêtement peut changer votre attitude envers les autres et envers le monde me fascine»

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