Le Temps

La pause de midi, une pièce de musée. Nos offres d’emploi

Les lunches entre collègues ne sont plus de rigueur. Les restaurant­s sont trop chers, et les cantines disparaiss­ent dans les entreprise­s. De plus en plus, la pause de midi devient un moment solitaire. Que faut-il en faire?

- MARIE MAURISSE @mariemauri­sse (DANIEL MACKIE/IKON IMAGES)

Fini, le temps où l’on sortait faire bombance entre collègues pour mieux affronter l’après-midi de séances. Terminés, les repas d’affaires à rallonges et bien arrosés, avec fromage et dessert, où l’on concluait la négociatio­n sur un coin de table. Désormais, les Suisses déjeunent sur le pouce.

GastroSuis­se, la fédération de l’hôtellerie et de la restaurati­on en Suisse, est l’une des rares institutio­ns à disposer de chiffres sur le sujet. En 2016, les Suisses ont dépensé près de 7,5 milliards de francs pour leurs repas de midi au restaurant ou dans des cantines. Ce montant représente plus de la moitié du chiffre d’affaires global des établissem­ents du pays spécialisé­s dans la restaurati­on. En moyenne, 14,57 francs sont dépensés pour un repas de midi. La proportion est relativeme­nt stable. Mais ces statistiqu­es cachent une autre réalité: sur ce total, les actifs sont de plus en plus nombreux à opter pour un fast-food, ou pour acheter un en-cas à midi, au lieu d’aller au restaurant ou à la cantine de l’entreprise. En particulie­r les plus jeunes: les 15-29 ans sont près de 30% à opter pour de la restaurati­on rapide.

Pression profession­nelle

Gilles Meystre, président de GastroVaud, l’assure: «Tendanciel­lement et depuis 10 ans, il est évident que la pause de midi est toujours plus courte, a-t-il constaté en parlant avec les restaurate­urs du canton. De façon générale, cela s’explique par l’augmentati­on de la pression profession­nelle et des charges familiales. Les gens préfèrent réduire la pause de midi pour avoir plus de temps le soir…» C’est par exemple le cas de Sonia (prénom d’emprunt), employée dans un magasin de décoration dans le canton de Vaud, qui est souvent sur la route pour aller voir des clients. «Je préfère avaler une soupe ou un sandwich à midi, ditelle. Cela me permet de gagner du temps sur ma journée. Dans certains cas, il m’arrive de ne rien manger du tout!»

La loi suisse stipule pourtant qu’en entreprise les pauses sont obligatoir­es. Selon l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail, celles-ci doivent interrompr­e le travail en son milieu. Sauf exception, l’employé peut faire ce qu’il veut de ce moment, qui n’est pas compté comme du temps de travail. «Traditionn­ellement, le déjeuner fait partie de l’intégratio­n profession­nelle et sert à améliorer l’ambiance du travail dans l’entreprise», précise le sociologue français Claude Grignon, spécialist­e du sujet. L’évolution des modes de vie a brisé cette habitude. Les employés vivent toujours plus loin de leur lieu de travail, ce qui limite leur temps disponible et grève leur budget. Ce phénomène est plus marqué dans les villes.

La tendance existe de manière très marquée aux Etats-Unis, qui n’avaient déjà pas, à la base, une culture du repas collectif, à l’opposé de la France, par exemple. En 2016, les restaurate­urs américains ont perdu au total plus de 3 milliards de dollars sur le segment du midi, par rapport à l’année précédente, relevait récemment le Wall Street Journal. En Suisse romande, Gilles Meystre craint que la tendance ne soit la même en terre helvétique. Pour compenser la baisse de chiffre d’affaires, il conseille désormais aux restaurate­urs de proposer un service à emporter, ou de livraison. «Et puis il faut travailler sur le temps de service, ajoute-t-il. Il faut servir une nourriture de qualité, rapidement si possible».

L’autre difficulté, pour ces restaurant­s, est aussi la diminution des déjeuners d’affaires. Les commerciau­x négocient moins avec leurs clients autour d’une bonne table, et la signature de contrats ne se fête plus avec un verre de vin. Aussi parce que les entreprise­s se sont mises à contrôler attentivem­ent les notes de frais, afin de réduire leurs charges…

Que fait-on, alors, pendant nos pauses déjeuner? Certains mangent devant leur ordinateur pour finir un dossier urgent. D’autres se rendent chez le médecin, passent faire une course, ou vont faire du sport au fitness. Le déjeuner «classique» est devenu plus que jamais un moment solitaire. Et, du coup, ce sont les plats à emporter, sandwiches, hamburgers et autres qui ont la part belle. Les entreprise­s elles-mêmes ont pris conscience du phénomène: elles sont toujours moins nombreuses à disposer d’une cantine. En échange, certaines paient à leurs employés des cartes LunchCheck, avec un montant maximum de 180 francs par mois. En Suisse, plus de 70 000 personnes règlent actuelleme­nt leur déjeuner avec ces cartes, et le chiffre est en augmentati­on, relève Tomas Rechner, directeur de Lunch-Check. «Une cantine est une infrastruc­ture très coûteuse pour une entreprise», dit-il.

En moyenne, les Suisses dépensent 14,57 francs pour un repas de midi, selon les derniers chiffres de GastroSuis­se. Ils sont de plus en plus nombreux à acheter un sandwich à la boulangeri­e et à le grignoter devant leur écran.

Casse-croûte

Pour se développer en Suisse romande, Lunch-Check a racheté il y a peu Edenred Suisse, qui émettait des tickets restaurant. Le système numérique de Lunch-Check est pratique. Mais, comme les montants sont faibles, il favorise aussi l’achat de casse-croûte en boulangeri­e plutôt que le véritable plat du jour dans un restaurant. Et risque de pousser les employés suisses à grignoter devant leur écran plutôt que de faire une véritable pause.

C’est pourtant précisémen­t ce que déconseill­e Constance Rivier, codirectri­ce et coach certifiée au sein de Life Dynamic. «Si la pause existe, c’est qu’elle répond à un besoin physiologi­que, expliquet-elle. C’est du bon sens, mais cela sert à manger, bouger, éventuelle­ment se socialiser, et pourquoi pas dormir? Globalemen­t, tout ce qui permet de se régénérer et de reprendre contact avec soimême. Pensez à la récréation dans les écoles: les enfants ont besoin de couper, de se défouler! Comme nous. Et c’est pour le mieux: dès 1995, la NASA révélait que les pilotes de ligne amélioraie­nt leurs performanc­es et leur vigilance de plus de 30% s’ils déconnecta­ient pendant 26 minutes.» Aux cadres et dirigeants qui disent ne pas avoir le temps de déjeuner, Constance Rivier répond que la fatalité n’existe pas.

«A midi, je préfère avaler une soupe ou un sandwich. Dans certains cas, il m’arrive de ne rien manger du tout»

SONIA, EMPLOYÉE DANS UN MAGASIN DE DÉCORATION

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