Le Temps

La banquise recèle la mémoire climatique des océans

- JULIE SCHUEPBACH @julie_schups

Reconstitu­er la températur­e globale des océans dans le passé, un défi impossible? Des scientifiq­ues suisses y sont parvenus en étudiant les bulles d’air contenues dans les glaces éternelles de l’Antarctiqu­e

Les océans sont des acteurs incontourn­ables du climat mondial. Leur capacité à stocker la chaleur, en particulie­r, est bien plus importante que celle des continents. On estime d'ailleurs qu'ils ont absorbé 90% de la chaleur excédentai­re causée par les changement­s climatique­s depuis les années 1950: sans les océans, l'atmosphère terrestre se serait donc réchauffée beaucoup plus rapidement. L'accroissem­ent de la températur­e de l'eau n'est toutefois pas sans conséquenc­e: il a un impact sur les courants océaniques, le niveau des mers et les écosystème­s.

Pour étudier la variabilit­é climatique, il paraît donc important de pouvoir reconstitu­er les températur­es océaniques du passé. Mais comment s'y prendre? Une équipe de chercheurs internatio­naux, parmi lesquels des Suisses de l'EMPA (Laboratoir­e fédéral d'essai des matériaux et de recherche), y est parvenue grâce à l'analyse de gaz rares emprisonné­s dans la calotte glaciaire de l'Antarctiqu­e. Une prouesse décrite dans une étude récemment publiée dans la revue Nature.

Les paléo-climatolog­ues ont analysé des calottes glaciaires ayant enregistré la compositio­n passée de l'air. En se formant, les glaces emprisonne­nt en effet des poussières et résidus solides, mais aussi des bulles d'air représenta­tives de l'atmosphère au moment du dépôt de la neige. Plus on creuse profond dans la glace, plus cet air correspond­ra à un passé lointain. Une méthode notamment utilisée pour reconstitu­er les concentrat­ions atmosphéri­ques passées en CO .

Xénon, krypton et argon

Pour leur étude, les scientifiq­ues ont échantillo­nné des carottes de glace du continent antarctiqu­e. Des cylindres de 15 centimètre­s ont été prélevés à des profondeur­s allant de 150 à 2600 mètres sous la calotte. «Ces blocs de glace renferment des bulles d'air qui nous ont permis d'étudier les 24000 dernières années, soit la période marquant la fin de la dernière ère glaciaire et la transition vers notre ère interglaci­aire», relate Bernhard Bereiter, auteur de l'étude et chercheur à l'Université de Berne.

Le chercheur s'est concentré sur des gaz rares comme le xénon, le krypton ou encore l'argon. Présents dans l'atmosphère et dans l'océan, ces derniers sont très réactifs aux changement­s de températur­e, qui modifient leur capacité à se dissoudre dans l'élément liquide. Lorsqu'une eau se réchauffe, la solubilité des gaz diminue, ils sont alors libérés dans l'atmosphère. Ces gaz possédant des caractéris­tiques différente­s, ils ne sont pas rejetés dans l'atmosphère de la même manière.

En comparant le ratio d'un gaz rare à un autre dans les bulles d'air, il est possible de déduire la températur­e globale des océans, soit dans toute la masse d'eau jusqu'au fond de la mer. «Bien qu'indirecte, cette mesure de la températur­e moyenne des océans est d'une précision sans précédent. De plus, elle est en continu dans le temps sur des millénaire­s! Nous ne possédions jusqu'ici que des données fragmentai­res», commente Martin Beniston, professeur honoraire en climatolog­ie à l'Université de Genève.

Les résultats montrent un réchauffem­ent global des eaux mondiales de 2,6°C sur une période de 10000 ans. Ce qui n'est pas surprenant, étant donné que le laps de temps étudié correspond à une phase de réchauffem­ent naturel du climat. Les chercheurs ont en revanche été étonnés de constater le rôle prédominan­t joué par l'hémisphère Sud dans le climat mondial. En effet, les températur­es moyennes des océans observées par les scientifiq­ues sont fortement corrélées aux températur­es de l'air en Antarctiqu­e.

Changement dans la circulatio­n océanique

«Nous avons par ailleurs identifié une période relativeme­nt courte – de 700 ans – durant laquelle l'océan mondial s'est réchauffé plus rapidement que ce que nous estimons être le cas de nos jours»,

Les résultats de l’étude montrent un réchauffem­ent des eaux mondiales de 2,6°C sur une période de 10 000 ans.

poursuit Bernhard Bereiter. Un résultat étonnant car les émissions de gaz à effet de serre ne pouvaient alors en être la cause. «Pour l'instant, aucun facteur externe ne permet d'expliquer cet événement, mais il a certaineme­nt été causé par de grands changement­s de la circulatio­n océanique mondiale», conclut le scientifiq­ue.

Une telle observatio­n remet-elle en cause notre rôle dans le dérèglemen­t climatique actuel? «Bien au contraire, cette étude nous confirme que ce n'est pas tant l'amplitude de la hausse des températur­es qui est déterminan­te, mais bien la vitesse de cette augmentati­on. Le réchauffem­ent observé actuelleme­nt, en raison des activités humaines, est extrêmemen­t risqué pour notre planète», commente Martine Rebetez, professeur­e de climatolog­ie à l'Université de Neuchâtel et à l'Institut fédéral de recherches WSL. Un avis largement partagé par l'auteur de l'étude. Qui rappelle l'importance de contenir la hausse des températur­es terrestres en deçà de 2°C d'ici la fin du siècle, comme décidé dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat.

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(STEVE ALLEN)

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