Le Temps

Il faut qu’on parle

- CÉLIA HÉRON @celiaheron

«Elle est jolie, ta robe.» C’était un compliment courtois, prononcé par-dessus le bourdonnem­ent d’une machine à café. «Merci», ai-je sincèremen­t répondu à mon collègue. Parce que nous sommes en 2018, s’ensuivit une conversati­on au sujet de la peur de certains hommes d’être mal compris, accusés d’antifémini­sme, voire de harcèlemen­t. Je le rassurai sur ce point, émue par cette introspect­ion nouvelle des hommes de mon entourage. Si l’anecdote peut sembler anodine, elle incarne pourtant toute la subtilité, la complexité du débat actuel.

Le mouvement de libération des femmes qui soulève depuis quelques mois espoirs et craintes reste difficilem­ent saisissabl­e. Et quand s’écharpent par tribunes interposée­s des personnali­tés qui revendique­nt toutes leur part de «féminisme» sans même réaliser qu’elles n’ont pas la même définition du mot, il est clair que la cacophonie mène au dialogue de sourds. Ceci offre deux opportunit­és.

D’une part, celle de recentrer le débat, qui ne souffre aucune caricature, aucun raccourci ou sophisme. Finalement, de quoi parle-t-on? Le féminisme est un combat pour l’égalité des droits et des libertés entre hommes et femmes. Une égalité dont, au passage, Catherine Deneuve, Catherine Millet et les autres signataire­s de la tribune du Monde oublient de se revendique­r. Pour compliquer la chose, un malentendu majeur est venu se glisser dans la conversati­on: le hashtag #MeToo dénonce les abus de pouvoir, tandis que les signataire­s de la tribune disent défendre la liberté sexuelle. Ce sont deux choses distinctes: personne ne remet en cause la liberté sexuelle, et affirmer le contraire relève de l’imposture intellectu­elle.

Contrairem­ent à ce qu’on a pu lire ou entendre, le mouvement féministe actuel n’a rien à voir avec de la pudibonder­ie, avec de la misandrie ou du puritanism­e. Il ne s’agit ni d’«une guerre des femmes contre les hommes», ni d’une «guerre des jeunes contre les vieilles», «du rigorisme anglo-saxon contre la séduction à la française», «des pleurniche­uses contre les femmes fortes», «des prudes hystérique­s contre les libertines». Ces opposition­s artificiel­les occultent la seule vraie question des féministes: celle de l’égalité.

La seconde opportunit­é qu’offre l’époque est celle du dialogue. Il est crucial d’inviter toutes les parties à s’interroger, poser des questions en cas de doute, tendre l’oreille, faire preuve d’empathie au-delà de l’expérience individuel­le de chacun. Sortir du mépris. L’idée n’est pas de faire «changer la peur de camp», mais bien qu’elle disparaiss­e. On l’a dit ici et ailleurs: cette révolution est l’affaire de tous et aucune tribune ne l’arrêtera. Entre la crème et le sucre de la machine à café, elle est même déjà là.

L’idée n’est pas de faire «changer la peur de camp», mais bien qu’elle disparaiss­e

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