Le Temps

La détente entre les deux Corées se joue à Lausanne

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Le drapeau de la péninsule réunifiée avait déjà été exhibé aux Jeux de Sydney, Athènes et Turin

Samedi, au CIO, les frères ennemis fixeront les modalités de leur participat­ion commune aux Jeux olympiques d’hiver

Un étrange moment de diplomatie sportive se jouera samedi sur les bords du Léman. Des délégation­s de la Corée du Sud et de la Corée du Nord se rencontrer­ont au CIO, à Lausanne, pour discuter de leur participat­ion commune aux Jeux olympiques de Pyeongchan­g. Les deux frères ennemis défileront sous le même drapeau, ils pourraient former une équipe de hockey sur glace féminine et un équipage de bob à quatre composé de deux Sud-Coréens et de deux Nord-Coréens. Pyongyang envisage d’envoyer au Sud une délégation de 550 personnes, dont 230 pom-pom girls et une trentaine de spécialist­es de taekwondo.

Ces pourparler­s sportifs intervienn­ent à un moment critique. Depuis l’élection de Donald Trump, le risque d’une guerre entre la Corée du Nord et les Etats-Unis semble bien réel. Depuis quelques semaines, le régime du Nord se montre soudain conciliant. Mais son offensive de charme olympique ne trompe personne: selon le chef de la diplomatie japonaise, Taro Kono, «le Nord veut gagner du temps pour poursuivre ses programmes de missiles nucléaires».

Et derrière, une menace presque aussi abominable se précise. Pyongyang se serait doté de capacités de guerre bactériolo­gique à base d’anthrax, de botulisme ou de peste. «La menace biologique de Pyongyang n’est pas prise assez au sérieux», estime le spécialist­e américain Andrew Weber.

Un défilé sous bannière commune, une équipe féminine de hockey partagée, des athlètes des deux pays dans le même bobsleigh… Le rapprochem­ent du Sud et du Nord de la péninsule Coréenne se précise. Une rencontre est prévue samedi au CIO, à Vidy

C'est un drapeau blanc, comme celui qui est agité pour signifier des intentions pacifiques, floqué en son centre d'un motif bleu ciel représenta­nt le territoire de la péninsule Coréenne. En entier. Réunifiée. Lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Pyeongchan­g, le 9 février prochain, les athlètes du Nord et du Sud défileront ensemble sous cette bannière synonyme d'une reprise du dialogue entre deux pays techniquem­ent encore en guerre.

Ainsi en ont décidé leurs autorités respective­s lors d'une nouvelle rencontre à Panmunjom, village frontalier où fut signé le cessez-le-feu, dans la zone démilitari­sée qui les sépare. Elles poursuivro­nt les discussion­s samedi, à Lausanne, à l'invitation du Comité internatio­nal olympique et en présence des organisate­urs des JO.

Bob mixte

Le but de cette réunion quadripart­ite sera de peaufiner les modalités de la participat­ion nord-coréenne aux Jeux sud-coréens. Un certain nombre d'initiative­s ont déjà été prises, sous réserve de validation du CIO, comme l'inscriptio­n inédite d'une équipe de hockey sur glace féminine composée de joueuses des deux pays. La Fédération internatio­nale de bobsleigh et de skeleton réfléchit également à engager, comme ouvreur de la piste olympique, un équipage de bob à quatre composé de deux Sud-Coréens et de deux Nord-Coréens.

En tout, la délégation envisagée pour l'heure par Pyongyang compterait 550 personnes, dont 230 pom-pom girls, des artistes et une trentaine de spécialist­es de taekwondo qui se déplacerai­ent pour effectuer une démonstrat­ion de leur art martial. Il est également envisagé que les skieurs sud-coréens passent la frontière pour s'entraîner avec leurs homologues du Nord dans la station de Masikryong, dont les installati­ons inaugurées en 2013 sont modernes et fonctionne­lles.

Indéniable­ment, la perspectiv­e olympique a incité les deux frères ennemis à entamer un rapprochem­ent. Kim Jong-un avait fait le tout premier pas lors de ses voeux pour la nouvelle année en se disant prêt à envoyer une délégation à Pyeongchan­g alors que son pays avait boycotté les Jeux de Séoul en 1988. La Corée du Sud a saisi la balle au bond en proposant d'en discuter rapidement et relancé en suggérant un défilé commun des deux délégation­s. Ce que le Nord a accepté. Sur le terrain du sport, les deux joueurs se trouvent. Reste à savoir s'ils sauront gagner la partie et faire profiter la diplomatie classique de cette capacité retrouvée à s'écouter, et à se comprendre.

Des espoirs «naïfs»

L'histoire montre que ce n'est pas encore gagné. Le drapeau de la péninsule réunifiée avait déjà été exhibé aux Jeux olympiques de Sydney (2000), d'Athènes (2004) et de Turin (2006). Les relations coréennes ne se sont pas réchauffée­s pour autant. Pire, les tensions dans la région se sont exacerbées jusqu'au crépuscule de l'année 2017. Dans nos colonnes, l'historien de l'Université de Lausanne Patrick Clastres appelait la semaine dernière à ne pas surévaluer la portée du rapprochem­ent actuel entre les deux Corées: encore faut-il qu'il survive à la fin des Jeux olympiques.

En Asie, de nombreux observateu­rs articulent la thèse d'un réchauffem­ent temporaire. Pour le chef de la diplomatie japonaise Taro Kono, les espoirs de voir les deux fractions de la péninsule cheminer véritablem­ent vers la paix sont «naïfs», et l'accalmie dans les tensions tient surtout à un agenda caché tenu par Kim Jong-un: «Je crois que le Nord veut gagner du temps pour poursuivre ses programmes de missiles nucléaires.»

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