Fribourg en pleine guerre des gauches
Pour succéder à Marie Garnier, le PS lance Valérie Piller Carrard (à g.), les Verts, Sylvie Bonvin-Sansonnens. Au risque d’offrir le siège à la droite?
A g.: Sylvie Bonvin-Sansonnens, candidate des Verts. A dr.: Valérie Piller Carrard, soutenue par le PS.
Chacun s’accusant d’avoir rompu l’alliance, Verts et socialistes partent désunis dans la course à la succession de Marie Garnier. Une aubaine pour la droite qui rêve de reprendre ce siège
La gauche fribourgeoise a-t-elle enclenché la machine à perdre? Alors que débute la campagne pour l’élection complémentaire au Conseil d’Etat du 4 mars, Verts et socialistes s’entre-déchirent. Ils partent divisés au combat, présentant chacun une candidate à la succession de Marie Garnier. Empêtrée dans la crise de la préfecture de la Sarine, la ministre écologiste avait jeté l’éponge le 8 novembre dernier.
Cette démission surprise plonge la gauche dans un embarras certain et pourrait déboucher sur un formidable autogoal. «Perdre ce troisième siège serait catastrophique, confirme le président du PS Benoît Piller. Une configuration à 5/2 serait totalement déséquilibrée pour le canton, ne laissant que très peu de chances de revenir à un 4/3 lors des prochaines élections en 2021.»
Mais alors que l’union a fait la force de la grande coalition de gauche (socialistes, chrétiens-sociaux et écologistes) lors des élections cantonales de 2016, celle-ci n’a pas réussi à se rassembler derrière une candidature unique. Pire, les Verts et le PS s’accusent mutuellement d’avoir fait éclater l’alliance, donnant une image de zizanie généralisée face à une droite conquérante et pesant 70% de l’électorat.
Pour comprendre ces dissensions, il faut remonter à la fin de 2017. Très rapidement après la démission de Marie Garnier, les Verts fribourgeois adoubent leur cheffe de groupe au Grand Conseil, Sylvie Bonvin-Sansonnens. Cette agricultrice bio et ancienne journaliste de 46 ans reçoit le soutien du Parti chrétien-social. Mais le PS émet immédiatement des doutes sur ses chances. Députée depuis mai 2015 seulement, son expérience politique est jugée insuffisante. «Une élection complémentaire n’est pas un tour de chauffe», justifie le socialiste Benoît Piller.
A l’unanimité, le comité directeur du PS choisit donc de lancer sa propre candidate. Ce sera la conseillère nationale Valérie Piller Carrard. Si elle reste méconnue en dehors des frontières cantonales, cette politicienne de 39 ans a pour elle d’avoir mené avec succès deux campagnes aux élections fédérales en 2011 et 2015. «Nous savions les conséquences de notre décision, assure le président des socialistes. Mais l’enjeu est trop important. Nous avons pris nos responsabilités.»
Les joueurs d’échecs de la Gruyère
Du côté des Verts fribourgeois, on ne cache pas son courroux. «La gauche plurielle ne peut pas être représentée au gouvernement par un seul parti, cela ne peut que l’affaiblir», insiste leur président Bruno Marmier. Il prend pour exemple le Conseil national, où le PS avait repris le siège chrétien-social pour le perdre ensuite au profit de l’UDC. «Une alliance ne peut fonctionner que si chacun y trouve son compte», lance encore le député de Villars-sur-Glâne.
La rancoeur est d’autant plus grande chez les écologistes qu’ils ont l’impression que Marie Garnier a payé au prix fort son conflit avec le préfet de la Sarine, le socialiste Carl-Alex Ridoré. Un PS qui reproche de son côté aux écologistes de cracher dans la soupe, cette même Marie Garnier n’ayant eu aucune chance d’être élue sans le soutien de l’important électorat socialiste.
La crise entre les deux partis a pris ces derniers jours une tournure des plus aigres, les Verts accusant le PS de suivre un agenda caché, celui de faire élire Pierre Mauron à Berne. Premier des viennent-ensuite, l’avocat de Riaz, poids lourd de la politique cantonale, serait en effet élu au Conseil national en cas d’élection de Valérie Piller Carrard.
Cette tactique digne du billard à trois bandes porterait la marque de Christian Levrat lui-même. Le président du Parti socialiste suisse et Pierre Mauron sont en effet à la fois amis d’enfance et beauxfrères. L’ombre des «joueurs d’échecs de la Gruyère» planerait donc sur le scrutin. L’idée d’un clan tirant les ficelles est jugée «totalement ridicule» par Benoît Piller. Le principal intéressé, Pierre Mauron, préfère ne pas répondre à de fausses accusations. Il se borne à défendre la stratégie de son parti: «Elle n’est pas sans risque, mais c’est la seule qui permettra de sauver le siège.»
Il n’en demeure pas moins que cette période de soupçon fragilise la gauche, alors que la cote du PLR Didier Castella est à la hausse. Cadre à la Confédération âgé de 48 ans, l’homme est populaire. Il a remonté son parti lors de sa présidence entre 2012 et 2017. Son handicap reste celui d’être un homme PLR gruérien, un profil déjà représenté au Conseil d’Etat en la personne de Maurice Ropraz.
Tout pronostic demeure pourtant difficile, tant les candidatures se multiplient: l’UDC Ruedi Schläfli, l’indépendante Maya Dougoud et le PBD Philippe Nahum. Le dépôt des listes étant fixé au 22 janvier, d’autres noms pourraient s’ajouter. Le PDC, repu avec ses trois conseillers d’Etat, ne présentera personne.
Le nombre élevé de candidats promet un ballottage général au premier tour. Tout se jouera donc au second tour, le 25 mars. Dans un canton où les alliances politiques ne cessent de se faire et de se défaire, le scénario final n’est de loin pas encore écrit.
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«La gauche plurielle ne peut pas être représentée au gouvernement par un seul parti, cela ne peut que l’affaiblir» BRUNO MARMIER, PRÉSIDENT DES VERTS FRIBOURGEOIS