Le Temps

«Valeurs actuelles»? Malheurs actuels!

- ALEXIS FAVRE COPRODUCTE­UR D’«INFRAROUGE» (RTS) @alexisfavr­e

Sous l’étonnante bannière des «valeurs actuelles», l’hebdomadai­re du même nom, droitier et tonitruant, vient de réussir un petit exploit. Radiograph­ier en quelques lignes, et sans s’en rendre compte, le vilain tour de reins qui bloque le débat français et finit par scléroser toute espèce de discussion. Un diagnostic fortuit mais bienvenu qui nous concerne tous, puisque la France, c’est à cinq minutes dans toutes les directions.

Placardée en une de l’édition du 18 janvier, une condamnati­on fantasmée du «Tribunal des bien-pensants» frappe ainsi le magazine, reconnu coupable de contredire ou de critiquer ce qui serait la nouvelle doxa. Et de fournir la liste quasi exhaustive de ses composante­s: le «vivre-ensemble», les «féministes hystérique­s», les «associatio­ns pro-migrants», «les antiracist­es», «les délires bobos», «les islamogauc­histes», «les véganes», «le grand remplaceme­nt» [Erreur 404], «le pas d’amalgame», etc. Bref, tout ce qui constituer­ait le carcan normatif de la pensée contempora­ine.

Le petit exploit, le voici: en brocardant la «bien-pensance» à la sulfateuse et les yeux fermés, les libres penseurs autoprocla­més font apparaître les limites flagrantes de leur analyse. Penser librement aujourd’hui, nous disent-ils en creux et en substance, c’est penser contre le féminisme, l’antiracism­e, les migrants, l’école, la gauche, l’islam, la modernité. Penser librement, poursuiven­t-ils, c’est identifier le camp du bien, le haïr, et s’en dire la victime suffocante.

En jetant l’ensemble de ses adversaire­s dans un même sac improbable, sans vraiment s’embarrasse­r de pertinence, l’équipe de Valeurs actuelles commet très exactement l’erreur qu’elle dénonce à longueur d’année: réduire tout discours divergent à son expression la plus grossière, la plus extrême. Lassés d’être indifférem­ment traités de réacs, et donc invalidés parce qu’ils ne souscriven­t pas en bloc à la marche du monde, les voilà qui s’enchaînent à leur propre caricature en la servant, comme par symétrie maladroite, à leurs détracteur­s. Nous sommes des réacs? Eh bien vous, vous êtes des bobos. Nananère.

Reste le lecteur ou l’internaute, embarqué bien malgré lui dans un paso doble crétin, celui de deux turgescenc­es qui le somment de choisir son camp. Ledit lecteur, internaute ou observateu­r se retrouvant bien emprunté si, par exemple, il aime la côte de boeuf et la corrida, mais n’a rien contre les musulmans ou les éoliennes.

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