L’autre menace de Kim: l’arme biologique
Si on s’inquiète de la menace nucléaire du régime nord-coréen, les experts craignent tout autant une offensive bactériologique de Pyongyang. Pour eux, la menace n’est pas prise suffisamment au sérieux. Y compris par la Suisse
Dans l’escalade verbale entre Washington et Pyongyang, la première menace qu’on associe à la Corée du Nord est nucléaire. Mardi à Vancouver, lors d’un sommet américano-canadien, le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, l’a répété: si la Corée du Nord ne choisit pas la voie de la négociation, Washington pourrait choisir l’option militaire. Donald Trump lui-même a fait miroiter la possibilité d’une guerre mercredi déclarant: «Je veux bien m’asseoir [avec le leader nord-coréen], mais je ne suis pas sûr que cela va résoudre le problème.»
Le document établissant la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine, publié en décembre, fait pourtant état d’une autre menace, tout aussi dangereuse bien qu’elle n’apparaisse pas vraiment sur les radars médiatiques: «La Corée du Nord cherche à obtenir des armes chimiques et biologiques.»
Ex-secrétaire adjoint à la Défense et principal conseiller du chef du Pentagone en matière d’armes de destruction massive, Andrew Weber le confie au Temps: «La menace biologique de Pyongyang n’est pas prise assez au sérieux. Je souhaiterais qu’elle le soit autant que la menace nucléaire. Les conséquences humaines de l’arme biologique peuvent être tout aussi dévastatrices.»
Selon un rapport fouillé du Belfer Center de la Harvard Kennedy School, à Boston, publié en octobre et intitulé «North Korea’s Biological Weapons Program», Pyongyang a «la volonté et la capacité de développer un programme durable d’armes biologiques». Il l’aurait déjà lancé dans les années 1960 sous Kim Il-sung, le grand-père de l’actuel dirigeant, et aurait commencé à transformer ses agents biologiques en armes de destruction massive vingt ans plus tard. Des documents du Ministère sud-coréen de la défense attestent que le régime de Kim Jong-un possède au moins treize agents pathogènes allant de l’anthrax au botulisme en passant par le choléra, la peste, la variole et la fièvre jaune.
Fermenteurs à anthrax
Les spécialistes en armes biologiques ont analysé minutieusement des photos montrant Kim Jong-un en visite à l’Institut biotechnique de Pyongyang en juin 2015, un centre de recherche géré par l’unité 810 de l’armée nord-coréenne. Pour Melissa Hanham, chercheuse au James Martin Center for Nonproliferation Studies à Monterey, en Californie, le leader nord-coréen trônait devant de vastes fermenteurs qui pourraient servir à la production à large échelle de l’anthrax à usage militaire. Ont aussi été identifiés d’énormes séchoirs servant à réduire en poudre des milliards de spores bactériennes. Plusieurs de ces équipements sont interdits en raison de leur usage possible pour des armes bactériologiques. «Les images montrent des capacités modernes de production biologique», confirme Andrew Weber.
S’il est vrai que depuis son arrivée au pouvoir Kim Jong-un a martelé l’importance d’une réforme agricole dans un pays qui meurt de faim, la présentant comme «le front du socialisme», les experts du Belfer Center se demandent pourquoi, dans cette logique de développement agricole, Pyongyang a choisi de passer soudain de pesticides chimiques à des pesticides biologiques. Aucune preuve tangible ne peut être avancée quant à la possession d’armes biologiques, le double usage de telles installations rendant tout verdict définitif difficile.
Virus de la variole
Bien que Pyongyang ait ratifié la Convention sur l’interdiction des armes biologiques en 1987, les soupçons s’intensifient. Le leader nord-coréen s’applique à envoyer des scientifiques à l’étranger (Chine, Russie) pour se former en microbiologie et à vendre une expertise biotechnologique à des pays en voie de développement. Depuis la moitié des années 1990, la Corée du Nord disposerait du virus de la variole. Elle serait désormais capable de produire des tonnes de microbes et dispose de laboratoires capables de procéder à des modifications génétiques.
La mise en scène de Kim Jong-un à l’Institut de biotechnique n’était pas un hasard. Elle est intervenue dix jours seulement après l’aveu du Pentagone d’avoir accidentellement acheminé de l’anthrax à l’Osan Air Base, une base aérienne américaine en Corée du Sud. Pour Kim Jong-un, c’était la preuve que les Etats-Unis étaient prêts à lancer une attaque biologique contre son pays. Un remake, selon lui, de la guerre de Corée dans les années 1950 où, à en croire un mythe toujours propagé par Pyongyang, l’Amérique aurait déjà utilisé des armes biologiques quand éclatèrent des épidémies de typhoïde, de choléra et de variole.
Facile à dissimuler
Aujourd’hui, divers rapports officiels de Séoul, des témoignages de déserteurs et le fait que les soldats nord-coréens sont vaccinés contre la variole laissent entendre que Pyongyang développe un programme d’armes biologiques. Des armes plus faciles à dissimuler que des armes chimiques, car il n’est pas nécessaire d’avoir une grande quantité d’agent pathogène pour créer des dégâts considérables. «Un seul individu doté d’un aérosol dans son sac à dos pourrait déjà diffuser des doses pouvant tuer des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes», souligne Andrew Weber.
Quelques kilos d’anthrax contenus dans quelques bouteilles peuvent éliminer la moitié de la population d’une ville dense, ajoute le Belfer Center. Or si le régime de Pyongyang a montré sa capacité à éliminer Kim Jong-nam, le demi-frère du leader nord-coréen, au moyen de l’agent chimique VX dans un aéroport de Malaisie en février 2017, il peut agir
Kim Jong-un en visite à l’Institut biotechnique de Pyongyang – photo diffusée en juin 2015 par l’agence de presse nord-coréenne. Un seul individu doté d’un aérosol dans son sac à dos pourrait déjà diffuser des doses pouvant tuer des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes
n’importe où sur le globe à travers ses missions diplomatiques ou des citoyens clandestins. L’intérêt, si on ose dire, de l’arme biologique relève de la difficulté d’identifier son utilisateur. Pour Kim Jong-un, elle a donc une valeur stratégique et tactique indéniable. Des armes biologiques pourraient être utilisées par des forces spéciales nord-coréennes infiltrées chez le voisin du Sud. Elles pourraient aussi servir à contaminer des bases militaires au Japon ou en Corée du Sud pour entraver une attaque contre le régime. Contrairement aux armes chimiques, les agents biologiques ne tuent pas immédiatement. Mais avec le temps, ils sont susceptibles de tuer autant de monde qu’une arme nucléaire. «Les armes biologiques ont un effet psychologique très fort. Elles peuvent terroriser les populations», prévient Thomas Countryman, ex-secrétaire d’Etat adjoint américain pour la sécurité internationale et la non-prolifération. Si l’Union soviétique avait des missiles longue portée SS-18 conçus pour être dotés d’armes biologiques, Thomas Countryman ne croit pas qu’il s’agisse là du meilleur moyen pour recourir à de telles armes: «Les missiles produisent de la chaleur susceptible de vaporiser les agents biologiques.»
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