Les dérapages racistes attisent la colère des Noirs
Après avoir saccagé des magasins de la chaîne H&M accusée de racisme, des manifestants ont bloqué l’entrée d’une école, qui refuse d’intégrer des élèves noirs
«Cette école publique n’a pas le droit de refuser 55 élèves noirs du quartier, sous prétexte qu’ils ne parlent pas afrikaans», clame Azwi Tshitangano, des Combattants pour la liberté économique (EFF). Ce petit parti du bouillant leader Julius Malema manifeste depuis deux jours devant l’entrée la Hoërskool Overvaal, au sud de Johannesburg. Mercredi, jour de rentrée scolaire, la police a dû intervenir pour protéger des parents blancs, molestés par les militants de l’EFF (rejoints par un contingent de l’ANC, le parti au pouvoir). L’école dit ne pas avoir suffisamment de ressources pour ouvrir des classes en anglais pour ces élèves. La semaine dernière, un juge lui a donné raison. Le Ministère de l’éducation, qui a fait appel, prépare une nouvelle loi pour réduire l’autonomie des écoles dans le choix de la langue de l’enseignement. Les Afrikaners veulent préserver leur identité culturelle. Mais les Noirs les accusent de se servir de leur langue comme d’un prétexte pour exclure leurs voisins de couleur.
Dimanche dernier, les mêmes militants de l’EFF ont renversé des présentoirs dans plusieurs magasins H&M à Johannesburg et Pretoria. La cause de leur colère: une publicité sur le catalogue en ligne de la marque, montrant deux garçons portant un sweat-shirt. «Sur celui du garçon noir, on peut lire «je suis le singe le plus cool de la jungle», et sur celui du garçon blanc, «je suis un expert en survie».
Magasins fermés dans tout le pays
«Quel genre de message cela envoiet-il?» s’insurge Lindie Dzimba, députée provinciale de l’EFF. On ne peut plus tolérer ce genre de propos. Le temps des excuses est fini!» La chaîne suédoise a dû fermer tous ses magasins en Afrique du Sud. «Comme marque globale, nous avons la responsabilité d’être conscient des sensibilités raciales et culturelles, a-t-elle reconnu. Même le racisme non intentionnel doit être éradiqué.»
La colère des manifestants est sans doute attisée par la stratégie populiste de l’EFF. Mais elle reflète aussi les frustrations des jeunes Noirs sud-africains devant la lenteur des changements. «Nelson Mandela s’est entendu avec les Blancs, qui ont accepté de nous donner le droit de vote, mais en échange, ils ont gardé le contrôle de l’économie et de l’éducation, affirme Mbuyiseni Ndlozi, porte-parole de l’EFF. Ils veulent protéger leurs privilèges.» Le parti EFF a acquis une influence politique bien au-delà des 6% de voix obtenus aux élections de 2014. Ainsi, à son congrès de décembre, l’ANC a adopté les slogans de Malema pour une «transformation radicale de l’économie», incluant «l’expropriation sans compensation des fermiers blancs». En 2016, le président des EFF avait annoncé la couleur: «Nous n’appelons pas au massacre des Blancs, du moins pour le moment. Mais nous allons les bousculer sans aucune honte parce qu’ils vivent dans un océan de privilèges.»
Inégalités de traitement
Pour la majorité des Sud-Africains noirs, la lutte contre le racisme n’est toutefois pas prioritaire. Selon un sondage réalisé par l’Institut des relations raciales à Johannesburg en 2016, seulement 15% estiment que les relations raciales se sont détériorées depuis 1994. La création d’emplois et l’amélioration de l’enseignement paraissent bien plus importantes (78%) que la transformation radicale de l’économie (5%) ou la réforme agraire (2%). Pour 59% des Noirs, les discours dénonçant le racisme sont une façon pour les politiciens de «trouver des excuses à leurs propres échecs».
Finalement, ce sont les Blancs qui sont les moins positifs: 40% d’entre eux pensent que les relations raciales sont pires qu’avant. «Les attaques racistes contre les Blancs ne sont pas condamnées avec autant de vigueur que celles contre les Noirs, regrette Ersnt Roets, le président d’AfriForum, une association de défense des Afrikaners. En 2016, une Blanche a dû payer une amende de 12000 francs pour avoir comparé des Noirs à des singes sur sa page Facebook. Mais rien n’est arrivé à un fonctionnaire noir, qui a écrit que les Blancs devraient être traités comme les juifs sous Hitler. Nous sommes victimes d’un «racisme à rebours». Nos écoles et universités sont forcées d’adopter l’anglais alors que l’afrikaans est la troisième langue du pays.»
«Nous n’appelons pas au massacre des Blancs, du moins pour le moment»
JULIUS MALEMA, LEADER DES «COMBATTANTS POUR LA LIBERTÉ ÉCONOMIQUE»