Le Temps

Dans le camp de Nahr el-Bared, la détresse des Palestinie­ns

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«On vit dans la promiscuit­é, la puanteur, le bruit, sans eau potable» BENAFSAJ SAÏD

Les Etats-Unis ont mis à exécution leur menace de réduire leur aide à l’office onusien chargé de l’aide aux réfugiés palestinie­ns. Un coup de massue pour une population démunie au bord du désespoir

LAURE STEPHAN (LE MONDE), ENVOYÉE SPÉCIALE À NAHR EL-BARED

Dans un îlot d’immeubles reconstrui­ts près du front de mer, l’appartemen­t où vit Omar Nabi a beau être neuf, la peinture pèle sur les murs. Deux fois diplômé, ce père de famille est revenu malgré lui à Nahr el-Bared, dans le nord du Liban, il y a quatre ans. Il avait choisi l’exil après la transforma­tion de ce camp palestinie­n en champ de ruines lors des violents combats de 2007 entre l’armée libanaise et un groupuscul­e extrémiste, Fatah al-Islam, inspiré idéologiqu­ement d’Al-Qaida. Depuis son retour, il cherche désespérém­ent un emploi: «Notre camp était le mieux loti de tous au Liban, avant la guerre de 2007, les commerces étaient prospères. L’économie a été mise à plat et ne s’est jamais relevée. Les jeunes sont désoeuvrés.» Seule la moitié du camp a été reconstrui­te, plus de dix ans après les affronteme­nts.

Comme si ces malheurs ne suffisaien­t pas, de nouvelles souffrance­s se profilent pour Nahr el-Bared. L’administra­tion Trump a mis à exécution, mardi, sa menace de couper l’aide aux Palestinie­ns. Les Etats-Unis ont gelé plus de la moitié de leur premier versement annuel à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), déjà à court d’argent. Seuls 60 millions de dollars parviennen­t ainsi à l’UNRWA, au lieu des 125 millions de dollars attendus.

Des baraques insalubres

Principal bailleur de l’agence, Washington réclame de «revoir en profondeur la manière dont l’UNRWA fonctionne». Mais ce gel apparaît aussi comme une punition envers l’Autorité palestinie­nne, qui rejette la poursuite d’une médiation américaine dans le conflit israélo-palestinie­n depuis la reconnaiss­ance unilatéral­e par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël.

Ces coupes risquent d’être un coup de massue de plus pour des réfugiés démunis, qui se sentent déjà devenus invisibles aux yeux de la communauté internatio­nale, accaparée par les autres crises du Proche-Orient. Malgré plusieurs années de difficulté­s financière­s, qui l’ont contraint à diminuer ses aides, l’UNRWA reste un socle pour les Palestinie­ns. «Il est le témoin de l’expulsion de nos aînés de Palestine et de notre droit au retour», ajoute Omar Nabi, le jeune chômeur.

A Nahr el-Bared, l’ambiance est électrique. Le fiasco de la reconstruc­tion a plongé les habitants dans la précarité et nourri les frustratio­ns. Au fil des ans, l’école Gaza, l’un des établissem­ents administré­s par l’agence onusienne, a été plusieurs fois la scène de manifestat­ions de réfugiés, dénonçant la réduction des services et la lenteur des chantiers. Dans la cour de récréation, les peintures murales et les jeux des enfants cachent mal le manque de ressources: la classe s’y fait dans un bâtiment en préfabriqu­é et dans des salles bondées. «Des coupes supplément­aires dégraderai­ent les conditions d’apprentiss­age, s’alarme un spécialist­e de l’éducation. Les enfants subissent déjà beaucoup d’instabilit­é chez eux: après 2007, le chômage a explosé, la pauvreté aussi.»

Certains élèves ont longtemps habité dans des préfabriqu­és. Prévues pour héberger pendant deux ans des familles sans toit, ces baraques installées près du camp sont toujours là. Elles sont devenues insalubres. Quelques centaines de personnes y vivent, les plus pauvres. Dans une allée, du linge sèche, l’odeur des latrines est oppressant­e. Benafsaj Saïd, 52 ans, et sa mère, une septuagéna­ire aux jambes malades cachées par une couverture, survivent dans quelques mètres carrés. «On vit dans la promiscuit­é, la puanteur, le bruit, sans eau potable», se plaint Benafsaj Saïd, convaincue de devoir son asthme à l’hygiène déplorable de ce lieu où même les rats s’invitent.

Leur calvaire dans les préfabriqu­és pourrait prendre fin «d’ici à cinq mois» si leur ancienne maison est achevée. Mais faut-il y croire? Les travaux dans le camp auraient dû prendre fin, selon des voeux pieux, en 2011 ou 2012. Or, pour de multiples raisons, les retards se sont accumulés. Le principal obstacle, aujourd’hui, tient au manque crucial de fonds.

A peine plus de la moitié des 21000 habitants qui ont choisi de revenir à Nahr el-Bared ont été relogés dans des immeubles neufs, colorés et bas. Les autres attendent, sans plus d’aide au logement. Les ruelles étroites, caractéris­tiques des camps palestinie­ns au Liban, ont disparu. Cela signifie plus de lumière et moins d’humidité dans les maisons. «Ce n’est pas pour notre bienêtre que les rues ont été élargies, mais pour permettre aux chars de l’armée de pénétrer en cas de tensions. A cause de cela, la taille des appartemen­ts a été réduite», déplore toutefois Khaled, un habitant.

«Capitale de la Palestine»

Des affiches sur lesquelles est inscrit «Jérusalem, capitale de la Palestine» ont été placardées près de commerces modestes qui tournent au ralenti sur l’axe principal. Des checkpoint­s militaires bloquent les entrées de Nahr el-Bared, le seul camp au Liban où l’armée est autorisée, depuis 2007, à pénétrer. Et les contrainte­s imposées aux non-Palestinie­ns pour y accéder ont fait fuir les anciens clients de ce marché jadis fréquenté, situé sur la route vers la Syrie. Le camp bordé par la mer n’est plus que l’ombre de lui-même.

La reconstruc­tion, à laquelle Washington a contribué, pourrait au mieux prendre fin vers 2020. Si le gel des dons est maintenu, le processus ne devrait cependant pas être affecté par les mesures américaine­s. Mais les services, déjà en baisse, risquent de diminuer encore. «L’enjeu à Nahr el-Bared n’est pas seulement de rebâtir des maisons, mais aussi l’économie et la société. Il y a beaucoup d’agressivit­é aujourd’hui», explique Mouna al-Assi, une réfugiée.

Dans leur bureau, les représenta­nts du comité populaire qui rassemble une dizaine de factions palestinie­nnes s’alarment de la montée de la drogue et du chômage parmi les jeunes. «Si une nouvelle baisse de l’aide de l’UNRWA a lieu, cela contribuer­a à unir les rangs et provoquera peut-être une nouvelle Intifada en Palestine, prophétise l’un des leaders locaux. Et, sur le plan social, ce sera catastroph­ique.»

 ?? (EMILIO MORENATTI/AP PHOTO) ?? Le camp de Nahr el-Bared en 2007, au sortir des combats entre l’armée libanaise et le Fatah al-Islam.
(EMILIO MORENATTI/AP PHOTO) Le camp de Nahr el-Bared en 2007, au sortir des combats entre l’armée libanaise et le Fatah al-Islam.

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