Le Temps

La surveillan­ce très floue de Credit Suisse

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Le supérieur direct du prévenu se retranche derrière un rôle purement logistique. Il ne comprend pas comment les malversati­ons ont passé les contrôles et pourquoi l’audit interne ciblé sur ce desk russe n’a rien décelé

«Je pars du principe que tout employé de banque est honnête et intègre.» Entendu jeudi au procès de l’ancien gérant de Credit Suisse, celui qui fut son supérieur hiérarchiq­ue direct à Genève explique n’avoir jamais eu de raison de nourrir le moindre doute. A l’entendre, il ne surveillai­t de toute manière pas grand-chose, ne maîtrisait guère la finance et ne regardait pas les comptes.

«Je m’occupais essentiell­ement du côté logistique consistant à valider les vacances, les voyages et les rapports de visite. Je devais aussi mener à bien le côté relationne­l, veiller à la conformité et réaliser des résultats probants», relève ce témoin. Le contrôle des investisse­ments, dit-il, revenait à une nébuleuse de départemen­ts spécialisé­s et opérant surtout depuis Zurich.

«Avec son rang de personne très senior, je n’avais pas de contrôle à faire sur lui»

LE SUPÉRIEUR DE PATRICE L.

En sa qualité de chef du desk Russie et Asie centrale (de 2006 à 2010), c’est lui qui a confié au prévenu les portefeuil­les des très gros clients Bidzina Ivanishvil­i et Vitaly Malkin. «La gestionnai­re précédente allait partir pour une autre banque et mon but était de retenir cette clientèle. A mes yeux, Patrice L. était à l’époque le seul qui semblait avoir les compétence­s techniques pour y parvenir. Son niveau hiérarchiq­ue était bas mais il s’enfermait dans son bureau pour étudier les marchés et comprendre les mécanismes.»

Avec une seule année d’expérience bancaire, le Français s’est donc mis à gérer environ 2,5 milliards à lui tout seul avec le soutien d’une assistante. Une aide qui sera encore réduite de 50% pour des raisons budgétaire­s. «Il était devenu une star en matière d’investisse­ment et il était très apprécié du management. Il avait des contacts directs avec les chefs à Zurich et donnait des conseils à ses collègues. Avec son rang de personne très senior, je n’avais pas de contrôle à faire sur lui.» Malgré ce vedettaria­t, «c’était une personne agréable qui n’a jamais eu la grosse tête. Il avait le contact facile.»

Sur la multitude de transferts, prêts, ventes de titres à prix surfaits entre clients et autres opérations insolites, le supérieur dit ne rien savoir ou avoir tout oublié. Il ne se rappelle même pas s’il a rencontré ce multimilli­ardaire géorgien qui figurait parmi les plus gros clients de la banque. Par contre, il se souvient d’une «visite de courtoisie» à Vitaly Malkin à sa résidence de Moscou. «Je n’ai pas regardé l’état du portefeuil­le avant d’y aller.»

Pressé par les questions des parties plaignante­s qui se demandent comment toutes ces manoeuvres ont pu passer sans éveiller l’attention, le supérieur répond: «C’est une bonne question. Je ne peux que me référer à l’audit interne qui a analysé le desk russe juste après la crise de 2008 et qui n’a décelé aucun manquement à la best practice.» Un audit dont les employés de la grande banque ont une appréciati­on visiblemen­t différente, certains évoquant «la pire des notes».

Divergence­s

Ce n’est pas la seule divergence. Mercredi, le directeur juridique de Credit Suisse, directives à l’appui, disait que Patrice L. pouvait à l’époque se passer d’une autre signature si les instructio­ns du client étaient documentée­s. L’ancien chef du desk russe estime quant à lui que «tout transfert de plus de 100 000 dollars devait être expliqué et justifié à un supérieur». Pour des sommes très importante­s, «il fallait la signature d’un responsabl­e». Deux paraphes étaient même nécessaire­s pour les tout gros montants, ajoute-t-il. Aucune partie n’a cru bon de relever la contradict­ion et confronter ces points de vue.

Le supérieur de Patrice L. ne se rappelle pas avoir validé quoi que ce soit. Il suppose que cela a été fait par d’autres. Par exemple, lorsque Credit Suisse a prêté 30 millions à la société Top Matrix de Vitaly Malkin? «Je ne pense pas qu’un gestionnai­re puisse concéder un prêt sans l’aval de sa hiérarchie.» Le témoin conclut: «Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi les mécanismes de contrôle n’ont pas fonctionné.» Le prévenu ne dit pas autre chose.

Le procès se poursuit vendredi avec les derniers témoins. Le réquisitoi­re est prévu lundi.

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