L’émergence d’une société d’alter-capitalistes
En 1989, l’effondrement du mur de Berlin a fait croire au triomphe du capitalisme sur le communisme. Le philosophe Francis Fukuyama proclama même la fin de l’histoire. L’économie de marché et la démocratie libérale triomphaient comme système politico-économique pour assurer le bien-être collectif. Trente ans plus tard l’analyse mérite d’être nuancée. Les fréquentes crises financières et industrielles font douter de l’efficience économique du système capitaliste. Surtout, ce dernier ne constitue pas une idéologie capable de mobiliser les individus. Le lien social nécessaire à la vie en société ne se construit pas sur la rationalité égoïste et la quête de gains financiers prônées par Hobbes. La société capitaliste est anomique. Elle ne produit pas le sens nécessaire à l’implication des individus dans l’action collective. Une utopie collective est un imaginaire moteur nécessaire à la construction d’un projet sociétal.
A l’aube du XXIe siècle, dans les décombres des idéologies communiste et capitaliste, émerge l’idéologie alter-capitalisme. Elle provient de différents lieux de la société civile. Que ce soient les informaticiens de la communauté du logiciel libre avec Linux, les financiers de la Grameen Bank qui promeuvent le microcrédit pour lutter contre la pauvreté ou les entrepreneurs sociaux qui portent des projets socialement responsables comme les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), tous se caractérisent par une volonté de réconcilier les deux systèmes politiques qui ont été opposés au XXe siècle. Ils cherchent à articuler l’idéologie communiste empreinte de solidarité et d’utopie avec la coordination décentralisée de l’économie de marché.
Historiquement, les coopératives ouvrières, Emmaüs ou la Croix Rouge sont les racines de cet alter-capitalisme. Les années récentes ont connu une explosion du mouvement associatif. En France, 1,3 million d’associations à but non lucratif emploient 1,853 million de salariés (9,8% des salariés du secteur privé) et représentent 85 milliards d’euros d’activité (3,2% du produit intérieur brut). Elles se révèlent parfois plus efficaces que les entreprises capitalistes pour répondre à des enjeux sociétaux majeurs. C’est Médecins sans frontières qui a coordonné les actions contre l’épidémie Ebola en Afrique. C’est Wikipédia qui rend la connaissance accessible à tous. C’est Linux qui offre des logiciels gratuits à l’ensemble de la planète.
Profit et altruisme constituent un oxymore dont sont bien conscientes les nouvelles générations. Elles ne sont pas dupées par les discours de responsabilité sociale des entreprises capitalistes qui maximisent leurs profits. Les nouvelles générations en quête de sens rejettent l’entreprise traditionnelle et se tournent vers des organisations alter-capitalistes. Face à la figure de l’entrepreneur capitaliste incarné par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ou Travis Kalanick qui fonda Uber, il existe des entrepreneurs sociaux qui mobilisent les nouvelles technologies et les instruments financiers pour contribuer à l’intérêt général sans chercher à maximiser le profit. Kiva.org, la plateforme de microcrédits, permet à chacun de prêter dans les pays en voie de développement pour soutenir des microprojets. Khan Academy offre la possibilité de se former gratuitement sur Internet. Change.org permet de pétitionner collectivement pour défendre la justice sociale et l’environnement.
L’alter-capitalisme émerge de la société civile en marge des institutions établies. C’est un nouveau contrat social et un système politico-économique en devenir pour reconstruire un projet sociétal. C’est aussi une idéologique porteuse de sens pour mobiliser les nouvelles générations.
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