Le Temps

A Kléber-Méleau, un Racine de muscles et de feu

- MARIE-PIERRE GENECAND Frères ennemis (La Thébaïde), jusqu’au 28 janvier, TKM-Théâtre Kléber-Méleau, Renens.

Créé il y a deux ans à l’Oriental de Vevey, «Frères ennemis» vient embraser le TKM, à Renens. Sur scène, des comédiens qui n’ont peur ni de la passion ni du sang. Encore moins de la sensualité

Cédric Dorier, qui est un homme doux et affable à la ville, aime les rapports musclés en scène. Il raffole des transports, des exaltation­s. Tout ce qui peut finir par un contact, d’affection ou d’agression. En 2014, sous sa direction, douze comédienne­s avaient donné de la voix et du corps à Vidy-Lausanne dans Misterioso-119, un texte de Koffi Kwahulé qui racontait la naissance d’un spectacle de danse dans une prison. Ce goût pour la frénésie tournait alors à l’obsession.

Dans Frères ennemis (La Thébaïde), à voir ces jours au TKM, à Renens, cette ardeur sert mieux le propos. C’est que la première tragédie de Racine (1664) met un peu de temps à démarrer et il faut bien le spectacula­ire engagement de Raphaël Vachoux dans le rôle d’Etéocle pour lancer la machine infernale. A ses côtés, les autres interprète­s jouent également la carte de l’intensité et, la plupart du temps, embrasent l’alexandrin racinien.

L’histoire revisitée

Amateurs de Sophocle, oubliez vos classiques! Dans cette première livraison tragique, Racine rompt avec la narration antique qui veut que Jocaste se suicide dès qu’elle découvre qu’elle a couché avec son fils OEdipe, et qu’Antigone brave l’interdit de Créon pour enterrer son frère Polynice. Dans Frères ennemis, tout le monde vit et meurt en même temps. Ou presque. Ce précipité dramaturgi­que, dont la haine des deux frères est le centre, déconcerte.

Mais c’est la liberté de l’auteur d’oser des variations sur le même thème. Ainsi, le rideau se lève sur Jocaste (Carmen Ferlan, grande tragédienn­e), bien vivante et en état d’alerte, car ses deux fils sont au bord de l’assaut. Si les frères montrent les dents, c’est qu’ils devaient régner alternativ­ement après le décès de leur père et qu’Etéocle, premier primé, ne veut plus céder le pouvoir à Polynice (Richard Vogelsberg­er). Il n’est pas impossible que Créon (Denis Lavalou) joue un rôle dans cette décision. L’oncle a tout intérêt à ce que ses deux neveux s’entre-tuent pour récupérer la couronne, non? Et Antigone (Claire Nicolas)? Elle a l’allure solide et le verbe lucide. Elle envoie Hémon (Jean-François Michelet) séparer les deux frères ennemis, dût-il en mourir – ce qu’il fait –, et se suicide ensuite, accablée de dépit… Le texte a de beaux moments – le duo d’amour entre Antigone et Hémon en est un –, mais il est brusque dans ses changement­s, surprenant.

Sensualité et explosivit­é

Et le décor, que montre-t-il? Un bureau, des cartons et des tapis, façon QG de guerre actuel. Plus tard, une table de festin est dressée et finit renversée quand se déclarent les hostilités. Les comédiens portent des treillis militaires, les comédienne­s, des robes d’aujourd’hui. Mais surtout, tous sont traversés par une ardeur koltésienn­e, un feu plus ou moins couvert et, parfois, leur emphase fait sourire. On salue? Oui, parce que Racine gagne en sensualité et en explosivit­é ce qu’il perd en gravité.

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