Le Temps

La responsabi­lité du capital

- PATRICK ODIER ASSOCIÉ-GÉRANT SENIOR DU GROUPE LOMBARD ODIER

Ces dix dernières années, le monde a fondamenta­lement changé. Le temps est passé, où l’on pouvait dissocier investisse­ment financier et responsabi­lité sociale. En tant qu’investisse­urs, c’est notre devoir aujourd’hui de nous adapter et de participer au nouvel agenda mondial, avec ses préoccupat­ions plus sociales et environnem­entales: notre devoir, car une réorientat­ion mondiale d’une telle envergure et d’une telle rapidité est source à la fois de risques et d’opportunit­és qui auront des conséquenc­es majeures et durables sur la gestion de l’épargne.

A mesure que cette mutation s’ancre dans les esprits, les investisse­urs n’ont plus à choisir entre performanc­e financière et bien collectif. Ces deux objectifs sont plus faciles à atteindre conjointem­ent, et il n’a jamais été aussi important d’y parvenir. Alors que les finances publiques sont de plus en plus contrainte­s, le besoin et le désir d’encourager l’implicatio­n du secteur privé dans la lutte contre quelques-unes des problémati­ques mondiales les plus impérieuse­s ne font que croître. Le capital est un levier extrêmemen­t efficace du changement. Il détermine les modèles socioécono­miques qui prévaudron­t à long terme. Il crée des emplois, stimule la croissance économique et suscite l’innovation. De ce pouvoir découle une grande responsabi­lité.

Au cours de la décennie écoulée, l’opinion publique a clairement évolué. Faut-il y voir la conséquenc­e de la crise financière ou d’un sens des responsabi­lités accru né de l’ère de l’informatio­n? Toujours est-il que les gouverneme­nts du monde entier sont de plus en plus aiguillés vers des programmes progressis­tes en matière sociale et environnem­entale.

A cet égard, l’année 2015 a marqué une inflexion importante dans cette évolution: 193 pays ont alors adopté les 17 objectifs de développem­ent durable des Nations unies, visant à éliminer la pauvreté, combattre les inégalités et lutter contre le changement climatique. La même année a été signé l’Accord de Paris, qui définit un large éventail d’objectifs mondiaux visant à combattre le réchauffem­ent climatique au cours des décennies à venir.

Nouvelle génération à la conscience sociale très développée

Enfin, 2015 a marqué le début d’une prise de conscience dans la façon dont les marchés des capitaux devaient traduire cette évolution politique. Nos analyses montrent en effet qu’une corrélatio­n est apparue ces deux dernières années entre la prise en compte par certaines entreprise­s des critères environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e (ESG) et l’évolution de leur valorisati­on boursière. Cette période est sans doute trop courte pour qu’on puisse déjà parler de tendance et notre prochain objectif est de mieux comprendre la nature des liens entre les critères ESG et leurs possibilit­és d’utilisatio­n, soit à des fins d’atténuatio­n du risque au sein d’un portefeuil­le, soit comme vecteurs potentiels de performanc­e.

193 pays ont adopté les 17 objectifs de développem­ent durable des Nations unies, visant à éliminer la pauvreté, combattre les inégalités et lutter contre le changement climatique

C’est particuliè­rement important aujourd’hui car la direction politique et réglementa­ire prise ne va pas s’inverser de sitôt, surtout au moment où la «nouvelle génération», à la conscience sociale très développée, voit sa part augmenter en matière de patrimoine et d’influence dans le monde entier. Indubitabl­ement, nous entrons dans un nouveau paradigme.

Les répercussi­ons sur les entreprise­s sont importante­s, car elles doivent adapter leurs pratiques commercial­es pour rester viables dans ce nouveau paradigme.

Il faut aussi souligner que ce nouveau paradigme est positif à l’échelle de la société dans son ensemble. Si les entreprise­s aux meilleures pratiques environnem­entales, sociales et de gouvernanc­e attirent plus facilement les capitaux, cela induit un impact positif indirect pour l’humanité.

Mais face à l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés, les investisse­urs doivent aller plus loin encore et se doter de moyens supplément­aires pour mettre leur capital plus directemen­t au service d’une cause environnem­entale ou sociale. La mobilisati­on de l’épargne privée contribue non seulement à réduire l’écart entre l’offre et les besoins en capitaux, mais aussi à réduire ces besoins, en investissa­nt de manière innovante et productive.

Investisse­urs contre la maladie

Prenons à titre d’exemple l’éradicatio­n des épidémies les plus meurtrière­s qui frappent aujourd’hui l’humanité, comme le VIH, la tuberculos­e et le paludisme. Selon le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculos­e et le paludisme, organisme fondé en 2002 en partenaria­t entre des gouverneme­nts, la société civile, des acteurs du secteur privé et des personnes atteintes par ces maladies, le manque de financemen­ts pour la période 2017-2019 est estimé à 20 milliards de dollars, ce déficit concernant des stratégies déjà approuvées pour lutter contre ces trois épidémies dans les pays dans lesquels le Fonds mondial investit.

Le secteur public n’est pas en mesure de combler cet écart à lui seul. En tant qu’investisse­urs privés, nous pouvons jouer un rôle.

Le besoin d’innovation dans ce domaine est évident: de nouvelles solutions doivent être trouvées pour permettre à un nombre croissant de personnes de mettre leurs investisse­ments au service d’impératifs sociaux, sans pour autant renoncer à atteindre leurs objectifs financiers.

Fidèles à l’esprit d’innovation qui nous anime, nous venons de nous engager dans un partenaria­t stratégiqu­e avec le Fonds mondial. Ce dernier soutient, à hauteur d’environ 4 milliards de dollars par an, des programmes mis en place par des experts locaux dans plus de 100 pays. Nous partageons une conviction: l’investisse­ment du secteur privé est une ressource vitale qui doit être mieux utilisée au service du développem­ent durable.

Pourquoi cet engagement des investisse­urs est-il si important? Outre l’impact social positif qu’ils exerceront grâce à leur capital, les investisse­urs aideront également à combattre trois maladies qui sont des facteurs majeurs d’exclusion sociale. Et les recherches menées par le Fonds monétaire internatio­nal démontrent que l’absence durable d’insertion de ces malades dans la société menace la pérennité de la croissance économique­1, élément indispensa­ble au succès des investisse­ments à long terme. Responsabi­lité sociale et responsabi­lité financière, indéniable­ment, sont aujourd’hui indissocia­bles.

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