Face à la politique de Donald Trump, il ne faut pas céder à la résignation
Dans la vie quotidienne d'une universitaire américaine, «rien» n'a changé depuis l'élection de Donald Trump: elle prépare ses cours, voit des amis, écrit. Et pourtant, «tout» a changé depuis l'an dernier. Plutôt que de se délecter du dernier livre à scandale Fire and Fury sur les faiblesses de l'administration Trump, il faut prendre acte de l'efficacité de cette présidence. A coups de décisions exécutives et administratives, elle poursuit ses plans sans relâche: la construction d'un mur à la frontière du Mexique, l'interdiction des visites de ressortissants de sept pays musulmans, l'ouverture des côtes américaines à l'exploitation commerciale du pétrole et du gaz, la remilitarisation des polices municipales grâce à la distribution des surplus militaires interdite par l'administration Obama. Cette liste est loin d'être exhaustive. De plus, la réforme fiscale votée par le Congrès en décembre 2017 privilégie les contribuables fortunés et les Etats à faible fiscalité et aux services sociaux inadéquats; elle annule l'obligation solidaire de s'assurer contre la maladie, et augmentera la dette nationale de
1,5 trillion de dollars.
Mes trois séjours de travail en Russie (2013-2016) m'ont appris que dans les régimes autoritaires, c'est aux niveaux local et régional, pas au centre, qu'on peut détecter les tendances protestataires les plus concrètes. Les Etats-Unis deviennent un autre exemple de ce phénomène. Cent dix villes, 20 Etats et plus de 1000 universités et entreprises américains se sont engagés dans l'America's Pledge à respecter l'Accord de Paris sur le climat. Le mouvement populaire Occupy Wall Street a légitimé les discussions sur les inégalités sociales, récemment encore taboues, au nom de l'honnie «guerre des classes».
C'est le cas aussi à Minneapolis-Saint Paul où je vis, une agglomération urbaine de plus de trois millions d'habitants, à forte majorité blanche, prospère et universitaire, et connue pour ses inégalités économiques et raciales. En juillet 2017 la municipalité de Minneapolis a voté pour imposer progressivement (d'ici à 2024) un salaire minimal de 15 dollars de l'heure, ce que la Chambre de commerce locale conteste devant les tribunaux. Cet exemple sera suivi par Saint Paul en 2018. Le mouvement Black Lives Matter a aussi transformé les discours: on s'inquiète enfin de l'incarcération de masse et des abus d'agents de l'ordre contre les suspects noirs, indiens et hispaniques. Le quotidien Minneapolis Star Tribune vient de publier une enquête serrée trois jours durant sur les excès commis par les agents de police au Minnesota, et les carences d'un système policier et judiciaire qui néglige de sanctionner ces méfaits.
Le dernier des forums opposant les six candidats pour le poste de maire de Saint Paul est enthousiasmant par sa vivacité et son intelligence. Nous sommes peut-être 80, jeunes et vieux, Blancs, Noirs, Amérindiens, hispaniques, à nous entasser dans le petit restaurant cambodgien Kolap (la rose), au coeur de Frogtown, le quartier le plus pauvre de la ville. Une journaliste trentenaire, d'origine hmong (tribu laotienne), mène les débats: les candidats sont deux Afro-Américains, l'un sans profession déterminée, l'autre assistant du gouverneur, un avocat blanc juif, un homme d'affaires blanc catholique, une éducatrice blanche protestante, et un conseiller municipal d'origine laotienne. Tous ont des expériences convaincantes à partager sur leurs engagements locaux. Ils ne s'attaquent pas les uns les autres, car l'électeur peut maintenant faire six choix, en indiquant ses préférences par ordre de priorité (rank voting). Il s'agit donc de ne pas décourager les électeurs potentiels, même une troisième place peut servir. Le 7 novembre 2017, Melvin Carter a été élu premier maire noir de Saint Paul à l'âge de 38 ans. Si ces six candidats continuent à dialoguer et même coopérer à l'occasion, Saint Paul pourrait aller vers un avenir radieux. N'empêche que seuls 27% des citoyens de Saint Paul ont voté, et 45% à Minneapolis, une participation pourtant en hausse dont se sont félicités les observateurs.
Voici quarante-trois ans que je me trouve aux Etats-Unis, toujours Suissesse, mais Américaine aussi. Comme tant d'autres Américains, je choisis de «jeter ma goutte à la mer» plutôt que de céder à la résignation. Pour moi cela signifie contribuer financièrement à des organisations telles que l'American Civil Liberty Union, qui luttent pour les droits humains, enseignent un regard critique sur le monde et l'Europe à des étudiants et un public assoiffés de contacts, et luttent pour l'amélioration du statut des collègues non titularisés dans mon université et la vaste Association américaine des sciences politiques. Surtout, ne baissons pas les bras face aux politiques inacceptables. ▅
Mes séjours en Russie m’ont appris que dans les régimes autoritaires, c’est au niveau local qu’on peut détecter les tendances protestataires