Le procès du «logeur des terroristes» du 13 novembre s’ouvre à Paris
Jawad Bendaoud, trafiquant de stupéfiants plusieurs fois condamné, avait logé en novembre 2015, à Saint-Denis, le coordinateur des attentats Abdelhamid Abaaoud. Plus de 300 parties civiles se sont constituées pour son procès qui s’ouvre ce mercredi
Jawad Bendaoud est-il juste un criminel prêt à tout pour gagner quelques centaines d’euros cash, un délinquant impulsif pris d’accès réguliers de colère et d’insultes contre les magistrats comme lors de ses procès en 2017 pour avoir incendié sa cellule et pour trafic de drogue? Ou était-il, dès le début de la mise en oeuvre des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, l’un des soutiens des commandos dirigés par celui qui trouva la mort, le 18 novembre à l’aube, dans l’appartement délabré qu’il lui avait loué pour la nuit rue des Morillons, au coeur de Saint-Denis?
C’est à ces questions que le procès du «logeur» d’Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur présumé de l’équipée la plus sanglante de Daech en France, devra répondre à partir de son ouverture ce mercredi devant le Tribunal correctionnel de Paris. Lequel rendra son verdict le 14 février. Ce dossier disjoint de la procédure principale ouverte après les attentats du 13 novembre présente une ambiguïté de départ: Jawad Bendaoud et deux complices présumés, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen, ne seront pas jugés pour «association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste». Ils le seront seulement pour «recel et non-dénonciation d’auteurs et de complices d’actes terroristes», délit passible au maximum de 6 ans de prison ferme. Dans la salle d’audience et dans les salles annexes mobilisées pour une retransmission vidéo, plus de 300 parties civiles seront représentées, défendues par plus d’une centaine d’avocats.
Dans l’attente du procès de Salah Abdeslam
Cette mobilisation des victimes et de leurs familles (130 morts, plus de 450 blessés) dit l’importance symbolique de cette comparution, première occasion de revenir sur la tragédie, ses circonstances, et les éventuelles failles des services de renseignement français. Il s’agit surtout du premier acte d’une très douloureuse saga judiciaire qui se poursuivra avec le premier procès de Salah Abdeslam, unique survivant des commandos du 13 novembre. Ce dernier sera jugé à partir du 5 février à Bruxelles pour une fusillade avec des policiers survenue quelques jours avant son arrestation à Molenbeek, le 19 mars 2016, à l’issue de quatre mois de cavale. Le procès devant la justice française de cet homme de 28 ans, toujours muré dans le silence et détenu à l’isolement total depuis deux ans à Fleury-Mérogis, près de Paris, ne devrait pas intervenir avant 2019.
«Jawad, c’est qu’on le veuille ou non le côté terrifiant de l’engrenage qui a conduit à un tel massacre» THIBAULT DE MONTBRIAL, AVOCAT SPÉCIALISTE DES DOSSIERS TERRORISTES
Les débats sur l’itinéraire de Jawad Bendaoud devront éclaircir ses liens avec Abdelhamid Abaaoud, chef présumé des trois commandos (Stade de France, Bataclan, terrasses). Ils réveilleront aussi une funeste interrogation: comment ce délinquant multirécidiviste de 31 ans, condamné en 2008 à 8 ans de prison ferme – pour s’en être pris avec un hachoir à un ami au sujet d’un téléphone portable – a pu se retrouver, le 18 novembre vers 6 heures du matin, en train de parader devant les caméras des chaînes d’information en continu, affirmant qu’il avait «juste rendu service»? Cela, avant d’être interpellé par les policiers à l’issue de leur raid contre les terroristes retranchés dans le quasi-squat qu’il gérait pour le compte de «marchands de sommeil» de ce quartier, épicentre des trafics de stupéfiants?
Le casier judiciaire de l’intéressé répond de la pire des manières: plus de dix condamnations pénales, y compris pour détention d’armes. Une sortie de prison en septembre 2013. Et le rapprochement avéré avec les filières de l’islamo-gangstérisme parisien. «Jawad, c’est qu’on le veuille ou non le côté terrifiant de l’engrenage qui a conduit à un tel massacre: la somme de collusions entre caïds et djihadistes, mais aussi d’erreurs et de laxisme des autorités que les idéologues assassins de Daech ont parfaitement su utiliser à leur profit», expliquait, en début d’année, l’avocat spécialiste des dossiers terroristes Thibault de Montbrial.
Jusqu’ici, deux sources permettent de reconstituer les évènements ayant abouti à la mort d’Abdelhamid Abaaoud, de son complice Chahib Akrouh et de celle qui les avait menés à cette planque, Hasna Aït Boulahcen: l’enquête policière et les dires de «Sonia». C’est cette dernière, l’une des plus proches amies d’Hasna, qui la dénonça aux policiers après l’avoir conduite, le 14 novembre, à une rencontre avec Abaaoud dans une planque en contrebas de l’autoroute A86.
Quels contacts avec les tueurs?
Du côté de l’enquête, les magistrats du parquet antiterroriste n’ont pas pu confirmer l’implication des trois accusés dans les massacres. Malgré un coup de téléphone suspect reçu de Belgique – où résidaient Abaaoud et Abdeslam – par Jawad Bendaoud quelques jours auparavant, la connexion entre ce dernier et les tueurs semble bien s’être faite après les attaques de Paris, via Hasna Aït Boulahcen que ce dealer approvisionnait en crack et cocaïne.
Révélée par Paris Match, l’existence de son empreinte ADN retrouvée sur du ruban adhésif de la ceinture d’explosifs déclenchée lors de l’assaut de Saint-Denis par Chahib Akrouh n’apparaît pas non plus comme une preuve certaine. Elle pourrait être le résultat d’une manipulation post-attentats, suite à l’arrivée de l’équipe dans l’appartement. Des circonstances qui accréditeraient le délit de «non-dénonciation» reproché aux deux autres accusés à être jugés dès mercredi: Mohamed Soumah et Youssef, le frère d’Hasna Aït Boulahcen.
Dans son livre Témoin (Robert Laffont) publié en 2017, puis dans plusieurs entretiens, «Sonia» a livré davantage d’éléments sur les failles de la police française. Cette dernière fait d’ailleurs l’objet d’une plainte pour «meurtre» de la part de la famille d’Hasna Aït Boulahcen – retrouvée morte après l’assaut de Saint-Denis, le corps intact dans les décombres, après avoir communiqué par la fenêtre avec les policiers.
«Ceux qui gravitent autour des terroristes»
Selon cette femme qui vit aujourd’hui sous une autre identité, c’est le portable d’Hasna qui, mis sur écoute après sa dénonciation, puis géolocalisé à Saint-Denis, aurait donné l’alerte. Sonia aurait encore, en interrogeant celle qu’elle hébergeait régulièrement, obtenu l’adresse de la rue du Corbillon. «Ils ne voulaient pas me croire. Plusieurs enquêteurs la croyaient déjà repartie vers la Syrie», a-t-elle plusieurs fois affirmé, visage caché et voix déformée. La suite est connue: la porte qui ne cède pas aux explosifs policiers vers 4h30 du matin, les échanges de tirs avec les djihadistes pendant plusieurs heures, les appels surréalistes d’Hasna Aït Boulahcen pour pouvoir sortir…
«C’est le procès de ceux qui gravitent autour des terroristes, qui les aident: les soi-disant caïds, les voyous qui permettent, par leur silence, aux tueurs de commettre leurs forfaits», estime Me Samia Maktouf, l’une des avocats des parties civiles, connue pour son engagement aux côtés de Latifa Ibn Ziaten, la mère d’Imad, un jeune soldat français musulman, premier militaire tué par Mohamed Merah en mars 2012 à Toulouse. Le procès aussi d’un homme, Jawad Bendaoud, dont les psychiatres des prisons où il a été interné ne cessent de répéter qu’il tient «un discours de déresponsabilisation, qu’il parle des drames et des crimes qu’il a commis comme s’il en était le spectateur».
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