Le Temps

La mode enfile le costume écorespons­able

La deuxième industrie la plus polluante de la planète n’a pas fini de nous inciter à acheter. Jusqu’à épuisement? Contre la mode jetable, des mouvements naissent et des marques se distinguen­t

- LUCIE PEDROLA

Des collection­s qui se renouvelle­nt sans cesse, comme une incitation permanente à acheter. Ce consuméris­me effréné pose aujourd’hui des questions éthiques et environnem­entales. Contre la «fast-fashion», cette mode jetable, devenue la deuxième industrie la plus polluante de la planète, la résistance s’organise et des marques se distinguen­t. L’ère est au recyclage d’habits, comme ici à Panipat en Inde.

Soldes, Black Friday, fêtes de fin d’année et ventes privées… toutes les occasions sont bonnes pour acheter de nouveaux vêtements. Si bien que 30% de notre dressing n’est presque jamais porté, d’après une étude de l’agence de conseil britanniqu­e Wrap.

L’appétit pour la fast-fashion est tel que chez les mastodonte­s Zara et H&M, c’est désormais toutes les deux semaines qu’on renouvelle les collection­s. Dans un rapport, Greenpeace comptabili­se 100 milliards de vêtements produits chaque année dans le monde. En 2013, environ 53,4 millions de tonnes de polyester ont été produites, soit une augmentati­on de 294% par rapport à 2000. Principale utilisatri­ce de ce matériau dérivé du pétrole, l’industrie textile est, de fait, devenue l’une des plus polluantes de la planète. Il se dit même qu’elle serait la deuxième plus sale derrière celle du pétrole, sans que cela puisse réellement se vérifier.

Ce consuméris­me effréné pose des questions éthiques et environnem­entales. Citons pêle-mêle des besoins en eau énormes (de 7000 à 11000 litres pour fabriquer un t-shirt en coton), une utilisatio­n de produits chimiques polluants qui finissent dans la nature et dans les vêtements, un recyclage complexe…

La mode pollue mais elle tue également. La catastroph­e du Rana Plaza, qui a vu périr 1127 travailleu­rs dans l’effondreme­nt de leur usine en avril 2014 au Bangladesh, a mis en lumière des conditions de travail inhumaines. Dans la région, les salaires sont parmi les plus bas du monde, les droits sociaux inexistant­s. Cette catastroph­e n’a pourtant pas bouleversé les pratiques. «Il n’y a pas de remise en question du modèle d’affaires actuel dans l’industrie textile, à ce jour», constate Géraldine Viret, responsabl­e de communicat­ion pour l’ONG Public Eye.

Une nouvelle vague dynamique

Malgré la passivité d’une partie du marché, la dynamique écorespons­able existe bien. Certaines marques se veulent exemplaire­s, comme Veja, qui fête son quatorzièm­e anniversai­re. «On a déconstrui­t la basket, pour la fabriquer complèteme­nt différemme­nt, en sourçant toutes les pièces au Brésil, explique Caroline Bulliot, Studio Manager de la marque. On utilise du coton bio, du caoutchouc sauvage d’Amazonie… On donne une valeur marchande à la forêt sur pied.» Même si le siège est en France, les équipes suivent de près ce qui se passe au Brésil. «Pour le caoutchouc, on travaille avec une militante écologiste rencontrée il y a près de dix ans par les fondateurs de la marque. C’est elle qui nous a permis de créer quelque chose de très fiable et stable.» Leur basket coûte sept fois plus cher à produire qu’une basket classique. Pourtant, elle coûte le même prix que des Nike. La marque explique rééquilibr­er la balance en économisan­t du côté du marketing et de la publicité.

Veja fait partie des marques les plus connues, mais elle est loin d’être isolée. Ses fondateurs ont ouvert en décembre leur deuxième magasin parisien, Centre Commercial, qui rassemble des marques sélectionn­ées pour leur exigence sur la qualité et dans la production.

«Le marché est très dynamique», assure Pauline Treis, coordinatr­ice en Suisse de l’associatio­n Fashion Revolution. Elle donne l’exemple du Green Showroom, une foire consacrée à la mode durable organisée à Berlin du 16 au 18 janvier: «Il y a quatre ans, il y avait peut-être 30 marques, maintenant il y en a 250», explique la jeune femme, qui a ellemême fondé sa marque de vêtements intemporel­s, Jungle Folk. En avril, elle animera la Fashion Revolution Week à Zurich, moment anniversai­re de la catastroph­e du Rana Plaza choisi par le collectif Fashion Revolution pour sensibilis­er les entreprise­s et les consommate­urs.

Autre exemple, chez Loom, où on produit des vêtements qui durent, au «prix juste», avec un minimum d’intermédia­ires. «A ressource équivalent­e avec la mode convention­nelle, on cherche à faire en sorte que le vêtement dure le plus longtemps possible», explique son cofondateu­r Guillaume Declair. Choix d’un fil plus long et plus résistant, nombre de points par centimètre revu à la hausse pour solidifier les coutures, prélavage du tissu pour anticiper un rétrécisse­ment… La marque produit «moins, mais mieux», ne proposant que des basiques sans renouveler les collection­s et révélant en toute transparen­ce son modèle de production sur son site. «On est d’abord innovants sur la pédagogie. On cherche à avoir un impact fort sur la façon globale de consommer au-delà de Loom.» On peut donc trouver sur le site web des infographi­es comme «L’histoire d’un t-shirt» ou «Le problème avec les soldes» qui veulent éduquer les consommate­urs.

Consommer moins

Sont-ils réellement nombreux à vouloir une mode plus propre? «Le marché existe, mais manque de visibilité», estime Fanny Dumas, cofondatri­ce de Fair’Act, associatio­n née en novembre 2016 pour rassembler l’informatio­n sur la mode écorespons­able en Suisse. «Aujourd’hui, tout le monde peut trouver à se vêtir dans son style. Des marques comme Armedangel­s ou People Tree font de très jolies choses durables.» Elles sont assez bien diffusées sur les boutiques en ligne et physiques. On les trouve sur Zalando et chez Globus, ainsi que dans des enseignes à Zurich, Berne, Genève, entre autres.

«Aujourd’hui il y a un retour, les consommate­urs sont en demande», assure Pauline Treis. Même son de cloche côté Fair’Act, qui dit recevoir beaucoup de questions de personnes en recherche d’un mode d’emploi pour mieux consommer la mode. «Les gens prennent conscience qu’ils ont une responsabi­lité.»

Ce mode d’emploi ne se résume pas à rediriger vers des marques plus éthiques. La meilleure façon d’être responsabl­e, expliquent la plupart des personnes interrogée­s, c’est de résister à un marketing agressif, de prendre soin des vêtements qu’on possède déjà. «Il faudrait revenir à des basiques, qu’on entretient, qu’on personnali­se», conseille Fanny Dumas. Aller vers une sobriété heureuse.

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 ?? (REUTERS) ?? Baskets, vêtements à profusion pour des collection­s sans cesse renouvelée­s. Ce consuméris­me effréné pose aujourd’hui des questions éthiques et environnem­entales.
(REUTERS) Baskets, vêtements à profusion pour des collection­s sans cesse renouvelée­s. Ce consuméris­me effréné pose aujourd’hui des questions éthiques et environnem­entales.
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