La mode enfile le costume écoresponsable
La deuxième industrie la plus polluante de la planète n’a pas fini de nous inciter à acheter. Jusqu’à épuisement? Contre la mode jetable, des mouvements naissent et des marques se distinguent
Des collections qui se renouvellent sans cesse, comme une incitation permanente à acheter. Ce consumérisme effréné pose aujourd’hui des questions éthiques et environnementales. Contre la «fast-fashion», cette mode jetable, devenue la deuxième industrie la plus polluante de la planète, la résistance s’organise et des marques se distinguent. L’ère est au recyclage d’habits, comme ici à Panipat en Inde.
Soldes, Black Friday, fêtes de fin d’année et ventes privées… toutes les occasions sont bonnes pour acheter de nouveaux vêtements. Si bien que 30% de notre dressing n’est presque jamais porté, d’après une étude de l’agence de conseil britannique Wrap.
L’appétit pour la fast-fashion est tel que chez les mastodontes Zara et H&M, c’est désormais toutes les deux semaines qu’on renouvelle les collections. Dans un rapport, Greenpeace comptabilise 100 milliards de vêtements produits chaque année dans le monde. En 2013, environ 53,4 millions de tonnes de polyester ont été produites, soit une augmentation de 294% par rapport à 2000. Principale utilisatrice de ce matériau dérivé du pétrole, l’industrie textile est, de fait, devenue l’une des plus polluantes de la planète. Il se dit même qu’elle serait la deuxième plus sale derrière celle du pétrole, sans que cela puisse réellement se vérifier.
Ce consumérisme effréné pose des questions éthiques et environnementales. Citons pêle-mêle des besoins en eau énormes (de 7000 à 11000 litres pour fabriquer un t-shirt en coton), une utilisation de produits chimiques polluants qui finissent dans la nature et dans les vêtements, un recyclage complexe…
La mode pollue mais elle tue également. La catastrophe du Rana Plaza, qui a vu périr 1127 travailleurs dans l’effondrement de leur usine en avril 2014 au Bangladesh, a mis en lumière des conditions de travail inhumaines. Dans la région, les salaires sont parmi les plus bas du monde, les droits sociaux inexistants. Cette catastrophe n’a pourtant pas bouleversé les pratiques. «Il n’y a pas de remise en question du modèle d’affaires actuel dans l’industrie textile, à ce jour», constate Géraldine Viret, responsable de communication pour l’ONG Public Eye.
Une nouvelle vague dynamique
Malgré la passivité d’une partie du marché, la dynamique écoresponsable existe bien. Certaines marques se veulent exemplaires, comme Veja, qui fête son quatorzième anniversaire. «On a déconstruit la basket, pour la fabriquer complètement différemment, en sourçant toutes les pièces au Brésil, explique Caroline Bulliot, Studio Manager de la marque. On utilise du coton bio, du caoutchouc sauvage d’Amazonie… On donne une valeur marchande à la forêt sur pied.» Même si le siège est en France, les équipes suivent de près ce qui se passe au Brésil. «Pour le caoutchouc, on travaille avec une militante écologiste rencontrée il y a près de dix ans par les fondateurs de la marque. C’est elle qui nous a permis de créer quelque chose de très fiable et stable.» Leur basket coûte sept fois plus cher à produire qu’une basket classique. Pourtant, elle coûte le même prix que des Nike. La marque explique rééquilibrer la balance en économisant du côté du marketing et de la publicité.
Veja fait partie des marques les plus connues, mais elle est loin d’être isolée. Ses fondateurs ont ouvert en décembre leur deuxième magasin parisien, Centre Commercial, qui rassemble des marques sélectionnées pour leur exigence sur la qualité et dans la production.
«Le marché est très dynamique», assure Pauline Treis, coordinatrice en Suisse de l’association Fashion Revolution. Elle donne l’exemple du Green Showroom, une foire consacrée à la mode durable organisée à Berlin du 16 au 18 janvier: «Il y a quatre ans, il y avait peut-être 30 marques, maintenant il y en a 250», explique la jeune femme, qui a ellemême fondé sa marque de vêtements intemporels, Jungle Folk. En avril, elle animera la Fashion Revolution Week à Zurich, moment anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza choisi par le collectif Fashion Revolution pour sensibiliser les entreprises et les consommateurs.
Autre exemple, chez Loom, où on produit des vêtements qui durent, au «prix juste», avec un minimum d’intermédiaires. «A ressource équivalente avec la mode conventionnelle, on cherche à faire en sorte que le vêtement dure le plus longtemps possible», explique son cofondateur Guillaume Declair. Choix d’un fil plus long et plus résistant, nombre de points par centimètre revu à la hausse pour solidifier les coutures, prélavage du tissu pour anticiper un rétrécissement… La marque produit «moins, mais mieux», ne proposant que des basiques sans renouveler les collections et révélant en toute transparence son modèle de production sur son site. «On est d’abord innovants sur la pédagogie. On cherche à avoir un impact fort sur la façon globale de consommer au-delà de Loom.» On peut donc trouver sur le site web des infographies comme «L’histoire d’un t-shirt» ou «Le problème avec les soldes» qui veulent éduquer les consommateurs.
Consommer moins
Sont-ils réellement nombreux à vouloir une mode plus propre? «Le marché existe, mais manque de visibilité», estime Fanny Dumas, cofondatrice de Fair’Act, association née en novembre 2016 pour rassembler l’information sur la mode écoresponsable en Suisse. «Aujourd’hui, tout le monde peut trouver à se vêtir dans son style. Des marques comme Armedangels ou People Tree font de très jolies choses durables.» Elles sont assez bien diffusées sur les boutiques en ligne et physiques. On les trouve sur Zalando et chez Globus, ainsi que dans des enseignes à Zurich, Berne, Genève, entre autres.
«Aujourd’hui il y a un retour, les consommateurs sont en demande», assure Pauline Treis. Même son de cloche côté Fair’Act, qui dit recevoir beaucoup de questions de personnes en recherche d’un mode d’emploi pour mieux consommer la mode. «Les gens prennent conscience qu’ils ont une responsabilité.»
Ce mode d’emploi ne se résume pas à rediriger vers des marques plus éthiques. La meilleure façon d’être responsable, expliquent la plupart des personnes interrogées, c’est de résister à un marketing agressif, de prendre soin des vêtements qu’on possède déjà. «Il faudrait revenir à des basiques, qu’on entretient, qu’on personnalise», conseille Fanny Dumas. Aller vers une sobriété heureuse.
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