Le Temps

La Chine durcit son contrôle sur les Eglises

- ROSA BROSTRA, HONGKONG

Les chrétiens de Chine s’inquiètent pour leurs libertés après la destructio­n d’une nouvelle église dans le nord du pays, la deuxième en moins d’un mois

Un clocher enneigé qui s’effondre dans un épais nuage de fumée, et une croix rouge qui chancelle. La police militaire chinoise vient de dynamiter l’une des plus grandes églises évangéliqu­es du pays. Cette destructio­n suscite l’inquiétude, à l’aube de l’applicatio­n de nouvelles règles visant à durcir encore le contrôle des pratiques religieuse­s.

La monumental­e église évangéliqu­e Jindengtai avec ses murs gris, située à Linfen dans la province du Shanxi, au sudouest de Pékin, pouvait accueillir jusqu’à 50000 fidèles. Certains avaient déjà eu maille à partir avec les autorités lorsque la police avait confisqué des bibles et emprisonné des représenta­nts de la congrégati­on.

Construit «en secret», l’édifice a été pulvérisé le 9 janvier dans le cadre d’une «campagne dans toute la ville pour se débarrasse­r des immeubles construits illégaleme­nt», rapporte le média officiel Global Times. Plusieurs ONG dénoncent une persécutio­n et une sinisation à marche forcée de la vie spirituell­e.

Une religion suspecte

Quelques jours plus tôt, au moins une autre église était réduite en poussière ailleurs dans le pays alors que six protestant­s étaient condamnés – pour «culte satanique» – à des peines allant jusqu’à 13 ans de prison. Un pasteur a aussi été contraint à verser 1 million de francs d’amende pour «revenu illégal». Dans la province de Jiangxi, ordre était donné de remplacer des représenta­tions de Jésus par des portraits du président Xi Jinping.

Les croix retirées, détruites ou brûlées se comptent par ailleurs en milliers depuis quelques années, car le christiani­sme est l’une des religions considérée­s comme suspectes dans le climat grandissan­t de reprise en main idéologiqu­e. Loin d’atteindre les niveaux extrêmes d’éradicatio­n des pratiques religieuse­s menée pendant la Révolution culturelle, la répression monte toutefois en puissance depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012.

Les 5,7 millions de catholique­s et surtout les 23 millions de protestant­s (selon des statistiqu­es officielle­s, les ONG en dénombrant respective­ment 12 millions et 60 à 80 millions) sont dans le viseur des autorités, de même que les musulmans et bouddhiste­s du Tibet.

La répression touche à la fois certains croyants mais aussi Internet, les poches de libertés, les membres du parti perçus comme indiscipli­nés ou corrompus. Elle touche aussi «tant d’autres pans de la société qui, aux yeux du Parti communiste, échappent à son contrôle et représente­nt de fait une menace pour son pouvoir», énumère Maya Wang, chercheuse pour Human Rights Watch.

«La répression intensifié­e contre les chrétiens est en grande partie le résultat de la répression encore plus large et intense contre les droits de l’homme» menée sous Xi Jinping, qui «souhaite exercer encore plus une main de fer sur beaucoup d’aspects de la vie en Chine», avec un même message: «montrer qui est le réel patron en Chine, et renforcer la soumission de la population», dit la chercheuse basée à Hongkong.

Pour le Parti communiste chinois, il est inconcevab­le qu’une partie de la population échappe à sa tutelle obligatoir­e

Pour le Parti communiste chinois, il est inconcevab­le qu’une partie de la population puisse obéir, même à travers ses prières, à un chef d’Etat étranger – ainsi que le pape est perçu – ou échappe à sa tutelle obligatoir­e, comme dans le cas des protestant­s. Les chrétiens chinois sont donc divisés entre une Eglise «officielle», qui a fait allégeance à des associatio­ns «patriotiqu­es» contrôlées par le parti, et une Eglise «souterrain­e» fidèle au Vatican pour les catholique­s ou simplement indépendan­te du parti pour les protestant­s.

Et malgré un réchauffem­ent relatif entre Pékin et le Vatican – notamment sur la question de la nomination des évêques – Xi Jinping tente de limiter l’expansion du christiani­sme, comme celle de l’islam, tous deux «soumis aux influences étrangères» selon lui, pour favoriser le bouddhisme.

Surveillan­ce accrue

Les cadres du parti et les forces de sécurité sont plus impliqués dans la gestion quotidienn­e des monastères, des mosquées et des églises. Certains sont parfois postés en permanence dans les lieux de culte où «les modes de surveillan­ce électroniq­ue – des caméras aux drones – se sont répandus de manière dramatique», assure l’organisati­on américaine Freedom House.

Et le ton devrait se durcir encore avec l’applicatio­n à compter du 1er février de nouvelles règles censées, selon les autorités, «renforcer la sécurité nationale», «contrer les infiltrati­ons» et «faire barrage à l’extrémisme». Seront sanctionné­es les communauté­s organisant «des événements non autorisés» ou acceptant de recevoir des dons provenant de l’étranger et l’ouverture d’écoles confession­nelles sera soumise à des conditions plus strictes.

Pour China Aid, groupe de défense des droits religieux basé aux Etats-Unis, «ces régulation­s accordent au Parti communiste chinois un pouvoir accru sur la religion, et ouvrent la voie à une escalade des persécutio­ns».

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(CHINA AID ASSOCIATIO­N/AFP PHOTO) L’église évangéliqu­e Jindengtai a été détruite le 9 janvier 2018.

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