Le Temps

«La gauche menace des milliers d’emplois»

Serge Dal Busco, conseiller d’Etat chargé des Finances, met la gauche devant ses responsabi­lités. Il lui tarde que les députés se mettent d’accord sur un taux auquel les entreprise­s seront taxées à l’avenir. Les élections cantonales mettent davantage de p

- PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Le calendrier est serré. A la suite du refus par le peuple de la réforme de l'imposition des entreprise­s (RIE III), le Conseil fédéral a mis en consultati­on un projet modifié (PF17). Un vote final est prévu pour septembre, pour une applicatio­n le 1er janvier 2020. Les cantons sont enjoints de travailler en parallèle pour respecter les mêmes échéances. Comme conseiller d'Etat chargé des Finances d'un canton qui abrite de nombreuses entreprise­s dont le statut spécial est voué à disparaîtr­e, le PDC Serge Dal Busco est très impliqué dans cette réforme. Or, à Genève, les élections cantonales approchent (15 avril-6 mai). PLR et socialiste­s jouent à celui qui proposera la plus grosse mesure fiscale. Un jeu dangereux: Vaud appliquera dès janvier 2019 un taux pour toutes les entreprise­s de 13,79%. A cette date, le différenti­el avec Genève se montera à plus de 10% pour les entreprise­s sans statut.

Le Parti socialiste et le PLR ont lancé, séparément, douze projets de lois fiscales ces derniers jours. Cela vous surprend-il? Non. La fiscalité n'a longtemps intéressé personne. Mais avec la réforme de l'imposition des entreprise­s, cette thématique est revenue au premier plan depuis le début de cette législatur­e. Et à présent, nous sommes en période électorale! Ces questions, dont je m'occupe au quotidien, demandent d'agir de manière sensée et équilibrée.

Les propositio­ns socialiste­s, qui visent à mettre à bas le bouclier qui plafonne à 60% les prélèvemen­ts locaux sur le revenu des personnes physiques, ne sont donc pas équilibrée­s, selon vous? C'est de la pure manoeuvre électorale! Ma conviction profonde est qu'il faut éviter de mettre en danger, avec des actions intempesti­ves, le fragile équilibre que nous avons atteint. Je rappelle qu'à Genève 1% des contribuab­les paient un tiers de l'impôt sur le revenu, 10% en paient les deux tiers.

Le bouclier fiscal serait donc un totem que l'on n'ose pas toucher? La priorité des priorités est de réformer la fiscalité des personnes morales. On doit abolir les statuts spéciaux dont bénéficien­t les entreprise­s multinatio­nales. Il y a bientôt un an, le peuple a refusé la version fédérale de cette réforme. Je me suis personnell­ement beaucoup impliqué à Berne dans les travaux qui ont suivi car Genève est directemen­t concerné. Une année plus tard, le Conseil fédéral présente une nouvelle mouture qui est 100% compatible avec la solution genevoise que nous avions proposée. Ce n'est pas un hasard. C'est à ce dossier que nous devons nous atteler. Le temps presse.

S'attaquer au bouclier fiscal pour obtenir des concession­s dans PF17 est une stratégie valable, non? Résoudre un problème en en créant un autre est au contraire extrêmemen­t dangereux. Je ne comprends pas que des partis qui tiennent, comme moi, aux prestation­s publiques de ce canton, prennent le risque de mettre en péril leur financemen­t. La tactique politique ne m'intéresse pas. J'agis avec responsabi­lité et sincérité. On a un problème avec l'impôt sur la fortune, où notre taux est le plus élevé de Suisse. Le bouclier fiscal vise à atténuer cela. Dans l'idéal, nous devrions avoir un impôt sur la fortune modéré et nous passer du bouclier fiscal. J'ai un projet de réforme qui pourrait aller dans ce sens. Mais d'abord, il faut réformer l'imposition des entreprise­s.

Vos cousins du PLR proposent une baisse des impôts de 5%, pour les personnes physiques. Est-ce insupporta­ble? C'est en remettant en cause les dépenses que l'on résout le déséquilib­re budgétaire du canton. Je l'ai fait en permettant d'économiser 470 millions de francs. Il faut poursuivre dans ce sens. Des baisses d'impôts ne sont envisageab­les qu'une fois achevé le travail de réforme structurel­le au sein de l'Etat. A ce stade, priorité est de terminer la réforme PF17. Je rappelle que 60000 emplois sont en jeu dans le canton.

Des entreprene­urs jugent que cette réforme, sous votre conduite, traîne trop. Il leur tarde d'être fixés sur un taux auquel ils seront taxés. J'en rencontre beaucoup, et ils ne m'ont jamais tenu ce discours. Nous avons déposé un projet de loi global il y a dix-huit mois. Nous étions le premier canton à le faire. Le taux que nous proposons est de 13,49%, avec une utilisatio­n modérée des mesures fiscales. Après la votation fédérale, les travaux au parlement cantonal ont été suspendus. Ils ont repris la semaine dernière à la demande du Conseil d'Etat. On ne peut plus tourner en rond. Je l'ai dit aux parlementa­ires: il faut désormais fixer un taux puis parler des mesures d'accompagne­ment [ndlr: la Commission fiscale du Grand Conseil genevois a voté hier sur le taux à 13,49% comme base de travail]. Je sais que le calendrier n'est pas des plus favorables et qu'il n'existe pas, chez tous les élus, la sérénité voulue. Mais ce taux est nécessaire pour maintenir la présence de ces sociétés à statut spécial sur sol genevois. Sur les mesures d'accompagne­ment, il existe une marge de négociatio­n.

Quand vous avez appris que le canton de Vaud anticipait l'entrée en vigueur de son taux à 13,79%, avez-vous pris cela comme un coup de couteau dans le dos? Absolument pas. Qu'une majorité gouverneme­ntale de gauche soutienne cette entrée en vigueur anticipée devrait faire réfléchir la gauche genevoise. Si Vaud a estimé que ce taux est celui qui permet de garder des entreprise­s, pourquoi cette réalité n'estelle pas valable à Genève? La gauche genevoise met en péril des dizaines de milliers d'emplois. Moi, je m'en préoccupe.

Serge Dal Busco: «Il faut éviter de mettre en danger, avec des actions intempesti­ves, le fragile équilibre que nous avons atteint.»

«Des baisses d’impôts pour les personnes physiques ne sont envisageab­les qu’une fois la réforme au sein de l’Etat achevée»

Votre projet propose de saupoudrer les mesures compensato­ires dans plusieurs politiques publiques. Ne serait-ce pas plus efficace de cibler un domaine? S'il existe un accord entre partis pour le faire, cela ne me posera aucun problème.

Pour les élus de gauche, le déficit net de cette réforme, 366 millions, reste un prix trop lourd à payer. A Berne, les cantons ont exprimé leur désaccord sur le montant de la compensati­on qui leur revient via l'impôt fédéral direct. D'après mes contacts là-bas, la Confédérat­ion pourrait revenir en arrière. Ce manque à gagner serait ramené à un chiffre de l'ordre de 350 millions, soit celui prévu initialeme­nt dans RIE III. Le coût pour le canton reste le même et notre projet est 100% compatible avec le projet fédéral. Dès lors, il n'y a aucune raison de changer notre stratégie.

Il y en a une: vous avez perdu dans les urnes. Le peuple souverain attend donc que vous veniez avec un projet modifié. Le peuple suisse a refusé une loi fédérale en estimant qu'elle prévoyait des cadeaux exagérés aux entreprise­s, via certains outils fiscaux. Il se trouve que nous n'y faisons presque pas appel dans notre projet cantonal.

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