Le Temps

Yes Billag

- JOËLLE KUNTZ

Avec l’initiative «No Billag», la SSR est attaquée sur trois fronts, idéologiqu­e, corporatis­te et culturel. Les idéologues sont menés par des individual­istes en soutane récitant le bréviaire du Moi d’abord, prières de la croisade contre l'Etat et ses obligation­s dérivées. JE ne consomme pas les produits SSR, JE n'ai donc pas à les financer, amen. Ces apôtres consomment d'ailleurs assez peu d'informatio­n s'ils ont à la payer. S'assumant comme satisfaits du peu qu'ils savent, ils se désintéres­sent de la tuyauterie par laquelle ce peu leur parvient. Que les médias payants soient à l'origine de l'informatio­n gratuite n'apparaît nulle part dans leur livre d'heures. Que la gratuité elle-même soit payée par la fraction du prix des marchandis­es consacrée à la publicité n'est pas un raisonneme­nt autorisé.

La troupe des idéologues comprend aussi les brigades des économiseu­rs, toujours à chercher le moins cher quand il s'agit de redistribu­er LEURS impôts, c'est-à-dire les fruits de LEUR travail. Quatre cents francs à Billag, c'est trop, deux cents suffisent. Les économiseu­rs sont les djinns des budgets, ils savent toujours comment faire mieux avec moins.

A eux tous, les idéologues ne suffisent pas à mettre à bas l'audiovisue­l public, les sons et les images qui expriment, alimentent et reproduise­nt la culture nationale dans la variété de ses besoins.

Ils sont rejoints par les perdants de la globalisat­ion publicitai­re, éditeurs de la presse écrite & Cie, pressés de dénoncer la concurrenc­e «déloyale» de la radio-TV sur le terrain des annonces. Sommant la SSR de définir ce qu'est un «service public», les grands médias privés lui font le procès de ne pas en être un, et de ne jamais pouvoir l'être. Ainsi, le détourneme­nt des revenus publicitai­res par les géants du Web au détriment des bénéficiai­res locaux traditionn­els, phénomène purement économique, débouche sur la mise en cause de la légitimité de la SSR. Et les suiveurs de se demander, la tête entre les mains, mais oui, au fond, c'est quoi, un service public au XXIe siècle?

La troisième armée s’engouffre dans la brèche. Elle ferraille contre le spectacle de la société transmis par la SSR, trop d'Europe, trop d'ouverture, trop de gauche, trop de gays, trop d'étrangers, trop de changement climatique, trop de séries américaine­s, bref, trop de dérangemen­ts qui font une fake Suisse aux yeux des vrais Suisses, les primitifs et les suivants. Fermons le poste pour rester entre nous.

«Une nouvelle ère de la pensée politique frappe à la porte car les gens veulent des sociétés démocratiq­ues et non des sociétés ouvertes», disait l'an passé Viktor Orbàn, le premier ministre hongrois. La captation de la démocratie par le nationalis­me est une opération à succès.

La coalition de fronts qui ne s’entendent sur rien sauf la disparitio­n de la SSR fait presque une majorité. Une institutio­n centrale pour le partage des biens politiques et culturels de la Suisse – l'informatio­n, la diffusion des arts, le divertisse­ment et les sports – est mise en danger par une fédération de mécontents unis dans la fureur mais sans projet pour les lendemains de vote. Des petits morceaux de révolte, ajoutés à des petits morceaux de cynisme, ajoutés à des petits morceaux d'utopie sur de gros morceaux de lésinerie confluent vers l'apparent confort d'un «No Billag».

Mais l’après-Billag? Darius Rochebin suppliant les téléspecta­teurs de ne pas aller faire pipi pendant les séquences de pub afin que le Téléjourna­l puisse continuer «gratuiteme­nt», comme ce site météo régional qui prie ses visiteurs de «bien regarder la publicité pour qu'il puisse rester gratuit»?

«Ce sont les institutio­ns qui aident à préserver la dignité, dit Timothy Snyder, l'historien du nazisme et du stalinisme. Elles ont aussi besoin de notre concours. Elles ne se protègent pas elles-mêmes. Elles tombent l'une après l'autre à moins qu'elles ne soient d'emblée défendues. Choisissez donc une institutio­n qui vous tient à coeur et prenez son parti.» Il dirait, contre la tyrannie, prenez le parti de la SSR.

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