Yes Billag
Avec l’initiative «No Billag», la SSR est attaquée sur trois fronts, idéologique, corporatiste et culturel. Les idéologues sont menés par des individualistes en soutane récitant le bréviaire du Moi d’abord, prières de la croisade contre l'Etat et ses obligations dérivées. JE ne consomme pas les produits SSR, JE n'ai donc pas à les financer, amen. Ces apôtres consomment d'ailleurs assez peu d'information s'ils ont à la payer. S'assumant comme satisfaits du peu qu'ils savent, ils se désintéressent de la tuyauterie par laquelle ce peu leur parvient. Que les médias payants soient à l'origine de l'information gratuite n'apparaît nulle part dans leur livre d'heures. Que la gratuité elle-même soit payée par la fraction du prix des marchandises consacrée à la publicité n'est pas un raisonnement autorisé.
La troupe des idéologues comprend aussi les brigades des économiseurs, toujours à chercher le moins cher quand il s'agit de redistribuer LEURS impôts, c'est-à-dire les fruits de LEUR travail. Quatre cents francs à Billag, c'est trop, deux cents suffisent. Les économiseurs sont les djinns des budgets, ils savent toujours comment faire mieux avec moins.
A eux tous, les idéologues ne suffisent pas à mettre à bas l'audiovisuel public, les sons et les images qui expriment, alimentent et reproduisent la culture nationale dans la variété de ses besoins.
Ils sont rejoints par les perdants de la globalisation publicitaire, éditeurs de la presse écrite & Cie, pressés de dénoncer la concurrence «déloyale» de la radio-TV sur le terrain des annonces. Sommant la SSR de définir ce qu'est un «service public», les grands médias privés lui font le procès de ne pas en être un, et de ne jamais pouvoir l'être. Ainsi, le détournement des revenus publicitaires par les géants du Web au détriment des bénéficiaires locaux traditionnels, phénomène purement économique, débouche sur la mise en cause de la légitimité de la SSR. Et les suiveurs de se demander, la tête entre les mains, mais oui, au fond, c'est quoi, un service public au XXIe siècle?
La troisième armée s’engouffre dans la brèche. Elle ferraille contre le spectacle de la société transmis par la SSR, trop d'Europe, trop d'ouverture, trop de gauche, trop de gays, trop d'étrangers, trop de changement climatique, trop de séries américaines, bref, trop de dérangements qui font une fake Suisse aux yeux des vrais Suisses, les primitifs et les suivants. Fermons le poste pour rester entre nous.
«Une nouvelle ère de la pensée politique frappe à la porte car les gens veulent des sociétés démocratiques et non des sociétés ouvertes», disait l'an passé Viktor Orbàn, le premier ministre hongrois. La captation de la démocratie par le nationalisme est une opération à succès.
La coalition de fronts qui ne s’entendent sur rien sauf la disparition de la SSR fait presque une majorité. Une institution centrale pour le partage des biens politiques et culturels de la Suisse – l'information, la diffusion des arts, le divertissement et les sports – est mise en danger par une fédération de mécontents unis dans la fureur mais sans projet pour les lendemains de vote. Des petits morceaux de révolte, ajoutés à des petits morceaux de cynisme, ajoutés à des petits morceaux d'utopie sur de gros morceaux de lésinerie confluent vers l'apparent confort d'un «No Billag».
Mais l’après-Billag? Darius Rochebin suppliant les téléspectateurs de ne pas aller faire pipi pendant les séquences de pub afin que le Téléjournal puisse continuer «gratuitement», comme ce site météo régional qui prie ses visiteurs de «bien regarder la publicité pour qu'il puisse rester gratuit»?
«Ce sont les institutions qui aident à préserver la dignité, dit Timothy Snyder, l'historien du nazisme et du stalinisme. Elles ont aussi besoin de notre concours. Elles ne se protègent pas elles-mêmes. Elles tombent l'une après l'autre à moins qu'elles ne soient d'emblée défendues. Choisissez donc une institution qui vous tient à coeur et prenez son parti.» Il dirait, contre la tyrannie, prenez le parti de la SSR.