Engageons la bataille climatique!
Au début du siècle, les effets des dégradations infligées au système Terre paraissaient lointains. La donne a changé. Le coût annuel moyen des catastrophes naturelles s’élevait aux Etats-Unis durant les années 1980 à 3 milliards de dollars. Il est passé à 20 milliards durant la première décennie du siècle. A partir de 2011, le coût a doublé, et il a même quadruplé en l’espace de deux décennies. Avec Harvey, les 100 milliards ont été dépassés. Aux cyclones il faut ajouter inondations, sécheresses et incendies. Il a plu sur l’ouest de l’Antarctique et les barrières de glace de Larsen, au nord-ouest, fondent rapidement, rendant à l’avenir une fonte rapide des glaciers continentaux possible. A l’autre extrême du globe, la température arctique a excédé en 2016 et 2017 la normale de 20 °C. Au Moyen-Orient et en Asie, les journées à plus de 50°C se multiplient. Un appel de 15000 scientifiques tirait, en fin d’année dernière, un énième signal d’alarme. Nous sommes entrés de plain-pied dans l’anthropocène.
Un récent rapport de l’ONU vient encore de nous rappeler la nécessité de ne plus produire d’émissions carbonées à compter de 2050. Le défi est gigantesque, d’autant que 6700 centrales à charbon crachent toujours leur carbone, que la Russie et la Chine s’entendent pour sécuriser l’exploitation pétrolière de l’Arctique, que la Chine qui, même si elle réduit sa production d’électricité au charbon sur son propre territoire, n’en construit pas moins de nouvelles centrales thermoélectriques au charbon au Pakistan et dans nombre de pays d’Afrique australe, etc.
Nous n’y parviendrons pas sans des mesures comparables à celles prises lors d’une entrée en guerre, une guerre que nous devons mener contre des technologies et des pratiques obsolètes. Le livre que viennent de publier Jean Jouzel, climatologue, et Pierre Larrouturou, économiste, est à cet égard éclairant (Pour éviter le chaos climatique, Odile Jacob). Ils proposent un «Pacte finance-climat», à savoir une manière de plan Marshall pour le climat, afin de réorienter la création monétaire de la BCE (près de 2500 milliards d’euros depuis avril 2015) de la spéculation financière vers les investissements climatiques. L’idée est d’injecter annuellement, pendant trente années, 1000 milliards d’euros. Chaque pays disposerait annuellement d’un droit de tirage de 2% sur son PIB. Il serait aussi envisageable d’instituer une «Contribution climat» de quelques pour cent, via un impôt supplémentaire sur les bénéfices des sociétés. Ce prélèvement pourrait dégager 100 milliards supplémentaires par an. Les auteurs et ceux qui les soutiennent s’accordent une campagne de trois ans pour convaincre du bien-fondé de leur initiative.
Cet argent devrait permettre de mettre en oeuvre les solutions technologiques dont nous disposons déjà en matière d’efficience et d’énergies renouvelables, mais aussi les nouveaux modèles économiques et les nouvelles pratiques collectives et individuelles – par exemple en matière d’économie de partage ou circulaire – dont nous avons besoin pour transmettre à nos enfants un cadre de vie pérenne. Plus fondamentalement, on peut souhaiter, dans un tel contexte, outre une création massive d’emplois, l’émergence d’une économie plus conviviale et de proximité, orientée sur notre qualité de vie et sur des réponses à nos aspirations véritables, plutôt que sur l’accumulation de marchandises issues de modes de production irresponsables, suscitant souvent plus de lassitude et de frustration que de bien-être.
Jouzel et Larrouturou ont reçu de nombreux appuis de poids. La Suisse, qui investit aujourd’hui, via sa banque nationale, ses caisses de pension et sa place financière, des centaines de milliards de francs dans les énergies fossiles, a un rôle important à jouer. Espérons que les réflexions de Jouzel et Larrouturou sauront l’inspirer et qu’elle adoptera elle aussi, selon des modalités qui lui seront propres bien sûr, des mesures à la hauteur de la bataille climatique que nous avons à mener.
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L’idée est d’injecter annuellement, pendant trente années, 1000 milliards d’euros. Chaque pays disposerait annuellement d’un droit de tirage de 2% sur son PIB