Le Temps

Engageons la bataille climatique!

- ADÈLE THORENS CONSEILLÈR­E NATIONALE, PARTI DES VERTS DOMINIQUE BOURG UNIVERSITÉ DE LAUSANNE ALEXANDER FEDERAU UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Au début du siècle, les effets des dégradatio­ns infligées au système Terre paraissaie­nt lointains. La donne a changé. Le coût annuel moyen des catastroph­es naturelles s’élevait aux Etats-Unis durant les années 1980 à 3 milliards de dollars. Il est passé à 20 milliards durant la première décennie du siècle. A partir de 2011, le coût a doublé, et il a même quadruplé en l’espace de deux décennies. Avec Harvey, les 100 milliards ont été dépassés. Aux cyclones il faut ajouter inondation­s, sécheresse­s et incendies. Il a plu sur l’ouest de l’Antarctiqu­e et les barrières de glace de Larsen, au nord-ouest, fondent rapidement, rendant à l’avenir une fonte rapide des glaciers continenta­ux possible. A l’autre extrême du globe, la températur­e arctique a excédé en 2016 et 2017 la normale de 20 °C. Au Moyen-Orient et en Asie, les journées à plus de 50°C se multiplien­t. Un appel de 15000 scientifiq­ues tirait, en fin d’année dernière, un énième signal d’alarme. Nous sommes entrés de plain-pied dans l’anthropocè­ne.

Un récent rapport de l’ONU vient encore de nous rappeler la nécessité de ne plus produire d’émissions carbonées à compter de 2050. Le défi est gigantesqu­e, d’autant que 6700 centrales à charbon crachent toujours leur carbone, que la Russie et la Chine s’entendent pour sécuriser l’exploitati­on pétrolière de l’Arctique, que la Chine qui, même si elle réduit sa production d’électricit­é au charbon sur son propre territoire, n’en construit pas moins de nouvelles centrales thermoélec­triques au charbon au Pakistan et dans nombre de pays d’Afrique australe, etc.

Nous n’y parviendro­ns pas sans des mesures comparable­s à celles prises lors d’une entrée en guerre, une guerre que nous devons mener contre des technologi­es et des pratiques obsolètes. Le livre que viennent de publier Jean Jouzel, climatolog­ue, et Pierre Larrouturo­u, économiste, est à cet égard éclairant (Pour éviter le chaos climatique, Odile Jacob). Ils proposent un «Pacte finance-climat», à savoir une manière de plan Marshall pour le climat, afin de réorienter la création monétaire de la BCE (près de 2500 milliards d’euros depuis avril 2015) de la spéculatio­n financière vers les investisse­ments climatique­s. L’idée est d’injecter annuelleme­nt, pendant trente années, 1000 milliards d’euros. Chaque pays disposerai­t annuelleme­nt d’un droit de tirage de 2% sur son PIB. Il serait aussi envisageab­le d’instituer une «Contributi­on climat» de quelques pour cent, via un impôt supplément­aire sur les bénéfices des sociétés. Ce prélèvemen­t pourrait dégager 100 milliards supplément­aires par an. Les auteurs et ceux qui les soutiennen­t s’accordent une campagne de trois ans pour convaincre du bien-fondé de leur initiative.

Cet argent devrait permettre de mettre en oeuvre les solutions technologi­ques dont nous disposons déjà en matière d’efficience et d’énergies renouvelab­les, mais aussi les nouveaux modèles économique­s et les nouvelles pratiques collective­s et individuel­les – par exemple en matière d’économie de partage ou circulaire – dont nous avons besoin pour transmettr­e à nos enfants un cadre de vie pérenne. Plus fondamenta­lement, on peut souhaiter, dans un tel contexte, outre une création massive d’emplois, l’émergence d’une économie plus conviviale et de proximité, orientée sur notre qualité de vie et sur des réponses à nos aspiration­s véritables, plutôt que sur l’accumulati­on de marchandis­es issues de modes de production irresponsa­bles, suscitant souvent plus de lassitude et de frustratio­n que de bien-être.

Jouzel et Larrouturo­u ont reçu de nombreux appuis de poids. La Suisse, qui investit aujourd’hui, via sa banque nationale, ses caisses de pension et sa place financière, des centaines de milliards de francs dans les énergies fossiles, a un rôle important à jouer. Espérons que les réflexions de Jouzel et Larrouturo­u sauront l’inspirer et qu’elle adoptera elle aussi, selon des modalités qui lui seront propres bien sûr, des mesures à la hauteur de la bataille climatique que nous avons à mener.

L’idée est d’injecter annuelleme­nt, pendant trente années, 1000 milliards d’euros. Chaque pays disposerai­t annuelleme­nt d’un droit de tirage de 2% sur son PIB

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