Un test sanguin pour détecter des cancers
En identifiant des marqueurs génétiques mais aussi protéiques circulant dans le sang, des chercheurs australo-américains ont mis au point un outil de détection prometteur, capable d’identifier huit types de cancers différents
Détecter une tumeur maligne, à un stade précoce et avant qu’elle n’ait disséminé dans l’organisme sous forme de métastases, semble indispensable pour réduire le nombre des décès dus à un cancer. Joshua Cohen (Johns Hopkins University, Baltimore) et ses collègues décrivent dans l’hebdomadaire Science du 19 janvier un test sanguin baptisé Cancer SEEK, qui identifierait avec une sensibilité importante huit types de cancer. L’un des éléments les plus innovants de ce travail est le recours à une combinaison de marqueurs, génétiques mais aussi protéiques, afin d’élargir le spectre de détection.
«Le Graal pour les chercheurs en oncogénétique, c’est la mise au point d’un test universel détectant tous les cancers, en particulier à un stade précoce. Depuis trois ou quatre ans, d’énormes avancées ont été accomplies avec l’apparition de tests fondés sur l’analyse de l’ADN tumoral circulant», explique le professeur Thierry Frebourg du CHU de Rouen.
Des portions d’ADN sont libérées dans la circulation sanguine par des cellules malignes en train de mourir, d’où le terme également utilisé de «biopsie liquide» pour les détecter. Cet ADN circulant se présente sous la forme de petits fragments, ne dépassant pas 100 ou 150 paires de bases. Pour les besoins de l’analyse, ces fragments sont amplifiés, d’où leur nom d’amplicons.
Sensibilité variable
L’identification de mutations dans l’ADN tumoral circulant peut servir à détecter un cancer à un stade précoce, où la tumeur n’est pas encore repérable par les méthodes classiques, et à orienter le traitement anticancéreux. Mais pour cela, car il n’est présent qu’en très petites quantités dans le sang, la technique doit avoir une grande sensibilité. Elle doit également avoir une grande spécificité afin de ne pas confondre de l’ADN tumoral et du matériel génétique issu de tissus normaux, et éviter ainsi les faux positifs.
L’article paru dans Science est le fruit de la collaboration de plusieurs équipes américaines et australiennes prestigieuses. Les coauteurs séniors Cristian Tomasetti et Bert Vogelstein (Université Johns Hopkins) avaient suscité une controverse en 2015 et en 2017 avec deux publications attribuant une forte part de responsabilité aux mutations dues au hasard – et non à des facteurs tels que l’environnement ou le comportement– dans la survenue de cancers.
L’identification de mutations dans l’ADN tumoral circulant peut servir à détecter un cancer à un stade précoce
La plupart de ces auteurs avaient déjà publié il y a quelques mois un article présentant le procédé Cancer SEEK pour la détection précoce de cancers du pancréas. Cette fois, les chercheurs ont ciblé huit types de cancer: ovaire, foie, estomac, pancréas, oesophage, côlon-rectum, poumon et sein. Soit, précisent-ils, la cause de 60% des morts par cancer aux Etats-Unis avec un total de 360 000 décès annuels.
La première partie de leur étude a consisté à appliquer leur méthode combinée chez 1005 patients pour lesquels un cancer non métastasé avait déjà été diagnostiqué, afin d’évaluer la sensibilité du test. 20% des patients avaient un cancer au stade 1 (tumeur unique et de petite taille), la moitié des patients une tumeur au stade 2 (volume local plus important) et les autres au stade 3, avec envahissement des ganglions lymphatiques et des tissus environnants.
Coût relativement modeste
Pour cinq types de cancer (ovaire, foie, estomac, pancréas et oesophage), la sensibilité variait de 69% (cancers de l’oesophage) à 98% (cancers de l’ovaire). Elle était moins élevée pour les tumeurs malignes du côlon-rectum, du poumon ou du sein, avec un taux de détection de 33%. Elle variait également en fonction du stade d’évolution du cancer: 73% pour les stades 2, 78% pour les stades 3, mais seulement 43% pour les cancers les moins avancés (stade 1). «Donc une sensibilité limitée pour les stades précoces, précisément ceux pour lesquels ce type de test de détection serait le plus utile, remarque Pierre Laurent-Puig. Les variations pouvant être dues aux taux d’ADN tumoral circulant, parfois très faibles.»
Puis, les auteurs ont évalué chez 812 individus ne présentant pas de cancer la spécificité de leur test, c’est-à-dire la capacité à ne pas déceler à tort un cancer. Elle était de 99% (7 faux positifs sur les 812 volontaires). Dans certains cas, le test permettait de restreindre à deux, voire à une seule localisation l’origine de l’ADN tumoral circulant.
Enfin, les auteurs de l’étude mettent en avant le coût relativement modeste qu’ils estiment pour le test Cancer SEEK, dont le brevet est pour l’instant détenu par l’université Johns Hopkins: 500 dollars (480 francs) soit, écriventils, une somme comparable ou plus faible que les autres tests de dépistage pour un seul type de cancer tels la coloscopie.
Ils soulignent toutefois que le test ne remplace pas les autres moyens de détection mais vient les compléter. Ils précisent également certaines limites dans les conclusions qui pourraient être tirées: dans un dépistage en population générale, la plupart des individus touchés par le cancer seraient à un stade (le moins avancé) pour lequel le test se montre le moins sensible. De plus, le nombre de faux positifs pourrait être plus élevé du fait de la présence d’une inflammation ou d’autres maladies qui fausseraient le résultat.
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