Mensonges à la Maison-Blanche
Steven Spielberg raconte dans «Pentagon Papers» comment, en pleine guerre du Vietnam, le «Washington Post» a publié des documents classés secret d’Etat, obtenus grâce à un employé proche de l’armée américaine, qui reste le premier lanceur d’alerte de l’histoire
Lorsqu’il a reçu il y a une année le scénario de Pentagon Papers, soit peu après l’investiture du président Trump, Steven Spielberg a ressenti comme une urgence, un irrépressible besoin de raconter cette histoire. A l’ère des fake news et des atteintes répétées à l’encontre de la liberté de la presse, il a vu dans la trajectoire du premier lanceur d’alerte de l’histoire, Daniel Ellsberg, un moyen de parler des dérives du pouvoir. Quelques mois plus tard, le film était en boîte, alors même que le cinéaste travaillait en parallèle à la post-production de Ready Player One, ambitieuse oeuvre SF annoncée pour fin mars.
Au début des années 1970, Daniel Ellsberg travaille pour la RAND Corporation, une agence de conseil et de recherche fondée au sortir de la Deuxième Guerre mondiale par l’US Air Force et travaillant notamment pour l’armée américaine. Dans son bureau, un coffre. Et dans ce coffre, un rapport classé secret d’Etat, révélant que plusieurs présidents successifs ont délibérément envoyé des troupes au Vietnam et même intensifié les offensives, alors même qu’ils savaient que les Etats-Unis ne pourraient jamais gagner la guerre.
Commandé en 1967 par Robert McNamara, secrétaire à la Défense, ce rapport doit être révélé au grand public, réalise dans un sursaut citoyen Ellsberg, qui photocopie alors les milliers de pages qui le composent et les livre au New York Times. Le 13 juin 1971, le quotidien révèle l’existence de ce qui deviendra les Pentagon Papers. Le gouvernement tente de faire interdire toute nouvelle publication via un arrêté de la Cour suprême, mais le Washington Post prend le relais et détaille à son tour le contenu des documents diligentés par McNamara. Jusque-là considéré comme un journal local, le quotidien prend soudainement une ampleur nationale. C’est à travers l’histoire de sa propriétaire et de son rédacteur en chef, Katharine Graham et Benjamin Bradlee, que Spielberg raconte l’histoire de cette fuite sans précédent.
«Au service des gouvernés»
Il y a dans Pentagon Papers de grandes idées de cinéma, comme lorsque Spielberg filme la silhouette de Richard Nixon de loin, à travers une fenêtre de la Maison-Blanche, et que l’on entend de véritables conversations tenues à l’époque par le président. Le cinéaste se fait également plaisir, lui qui se réclame d’un certain classicisme, en filmant une salle de rédaction à l’ancienne, avec sa cohorte de journalistes triant des montagnes de paperasse et tapant frénétiquement à la machine à écrire, tandis que le «réd chef» traque le scoop en martelant: «nous sommes au service des gouvernés, pas des gouverneurs», assène Bradlee.
Ce qu’il captive le plus ici, c’est le combat de «Kay» Graham pour défendre l’idée d’une presse libre alors que sa position d’éditrice malgré elle (elle s’est retrouvée à la tête du Post à la suite de la mort de son mari) suscite la méfiance des actionnaires, d’autant plus qu’elle est une intime de McNamara. Face à Tom Hanks, qui incarne Bradlee avec la classe décontractée qu’on lui connaît, Meryl Streep est formidable en femme forte tenant tête aux hommes – prétexte à un plan final militant à l’heure du tsunami déclenché par l’affaire Weinstein. Le film, en définitive, s’apparente à un préquel des Hommes du président, le récit s’arrêtant au moment précis où va éclater le scandale du Watergate.
Mais là où le long-métrage réalisé en 1976 par Alan J. Pakula se révèle une formidable plongée au coeur du journalisme d’investigation, celui de Spielberg s’avère moins passionnant du fait qu’il ne montre, pour l’essentiel, que des gens se demandant s’il convient ou non de publier des documents secrets. Le cinéaste ne parvient guère à transcender son sujet et livre un film sans véritable souffle, à l’inverse par exemple des brillants Lincoln (2012), sur l’exercice du pouvoir et de la démocratie, et Le Pont des espions (2015), qui le voyait reconstituer le Berlin-Est de la Guerre froide.
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Meryl Streep est formidable en femme forte tenant tête aux hommes