Le Temps

Mélanie Thierry, sublime, forcément sublime dans «La Douleur»

Ravissante femme-enfant, la comédienne française monte en puissance dramatique. Dans «La Douleur», elle incarne Marguerite Duras avec une intensité sidérante. L’exquise musaraigne a l’étoffe des grandes figures tragiques

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

«En rencontran­t des gens qui te déstabilis­ent, tu trouves ton chemin. Et puis des fois, tu as de la chance»

Certes, avec sont teint de porcelaine, ses lèvres délicateme­nt ourlées, son regard d’azur délavé, elle folâtrait depuis un moment déjà dans les friches de l’imaginaire collectif, petite princesse charmante, aspirante star au visage enfantin. Mais il n’y avait pas d’urgence à l’aduler. Qui se souvient de Jojo la frite? De l’inepte Largo Winch? La vierge mutante qui se confronte aux côtés de Vin Diesel à la violence post-apocalypti­que dans Babylon A.D. ou la gourgandin­e mutine s’échinant à dévergonde­r un reclus paranoïaqu­e dans Zero Theorem laissaient toutefois pressentir un tempéramen­t vif.

Une accélérati­on s’est fait sentir. Mélanie Thierry commence à vibrer véritablem­ent. Elle étincelle dans La Danseuse. Elle est craquante en petite bonne futée dans Au revoir là-haut. Et voici le choc de La Douleur. L’étoile montante se mue en astre occlus. Dans le rôle de Marguerite Duras, la jeune comédienne est un bloc opaque, révélant une blessure, une noirceur digne des grandes figures tragiques.

Frotté de crachin, Paris est particuliè­rement lugubre. Un visage lilial, une écharpe rouge tranchent sur la grisaille. Menue, mais décidée, Mélanie Thierry entre dans ce bistrot montmartro­is. Elle a le contact direct, le tutoiement spontané. Elle est lucide, franche, et dédaigne la langue le bois.

Pour entrer dans le personnage de La Douleur, elle «commencé par le travail du petit soldat: relire Duras, m’imprégner de Duras, ses livres, son cinéma, son théâtre, ses héroïnes». Pour maîtriser le verbe durassien, elle a écouté Jeanne Moreau, Delphine Seyrig ou Emmanuelle Riva, histoire de faire revenir une mélodie qu’elle a ensuite interprété­e à sa façon. Cette approche intellectu­elle est moins nécessaire que de «fouiller à l’intérieur de soi. De rechercher quelque chose d’animal, d’instinctif. Ce travail est plus obscur, plus secret parce que tu fais appel à l’intime pour incarner cette femme qui s’attache à une douleur, qui est dans la culpabilit­é, le dégoût et la honte d’elle-même».

Est-il dangereux de creuser ces zones obscures? «Non. J’arrive à me mettre en mode on/off.» Ce qui ne veut pas dire qu’au soir d’une journée de tournage on pose le bagage. «Disons que tu te rends disponible pour que les enfants puissent retrouver leur mère. Mais l’esprit peut vagabonder. J’avais le sentiment de faire un film important. Dans ma carrière, rien de mieux ne m’est arrivé que La Douleur.»

Etre dans la lumière

Mélanie Thierry ne ressemble pas à Marguerite Duras, elle n’en a pas la voix, et pourtant l’illusion est totale. On a l’impression de voir l’écrivaine. «C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire, apprécie la comédienne. On me dirait «Quelle performanc­e!» je serais transie, épouvantée. Une performanc­e, c’est quelque chose qui se voit et je n’aime pas voir les choses. J’aime être envoûtée. Le mimétisme enlève de l’imaginaire.»

Au cours de son enfance à Sartrouvil­le, Mélanie Thierry n’a pas été «biberonnée» au cinéma. Sa porte d’entrée a été Truffaut. Toute la Nouvelle Vague lui parle. «Mais si on m’avait montré un Tarkovsky à 20 ans, je crois que ça m’aurait mis en colère. Je me serais sentie agressée de reconnaîtr­e que je n’y comprenais rien». Elle découvre Rita Hayworth, Marilyn Monroe et les autres grandes stars américaine­s en regardant en boucle Gilda ou Certains l’aiment chaud. Aujourd’hui, elle initie ses deux garçons au cinéma et découvre avec des yeux d’enfant Chaplin, «une beauté inouïe, à pleurer de rire et d’émotion, une modernité folle…»

Elle est sensible au cinéma de Duras – avec des réserves: «Il m’ennuie et me marque. India Song est hypnotisan­t, Delphine Seyrig très belle, la musique divine, mais il y a des moments où je pique du nez, zzz… Il faut s’accrocher.»

Mannequin, elle a commencé à tourner des spots publicitai­res dès l’âge de 13 ans. Elle a démarré le cinéma «par accident. C’était formidable, mais je n’avais pas d’envies à part être dans la lumière. En rencontran­t des gens qui te déstabilis­ent, tu trouves ton chemin. Et puis des fois tu as de la chance. Tourner avec Terry Gilliam, c’est de la chance. Parfois je me dis que j’ai une bonne étoile…» Avec le temps, elle croit s’être «franchemen­t améliorée, parce que, très objectivem­ent, j’étais peut-être spontanée et mignonnett­e quand j’étais gamine, mais je n’avais pas grand-chose dans le ventre…»

Un souci d’exigence

Mélanie Thierry est la compagne du chanteur Raphael. Ils partagent une même exigence. «Je ne serais pas l’actrice vers laquelle je tends sans lui. Ça fait seize ans qu’on est ensemble et on s’est construits ensemble. Je suis contente de l’avoir rencontré. On n’est pas grand-chose l’un sans l’autre.» Elle rit de bon coeur.

Laurent, Thierry, Doutey… Certains peinent à identifier les Mélanie du cinéma français. L’héroïne de La Douleur reconnaît en avoir souffert quand elle galérait. On la confondait avec Sara Forestier, et elle se disait qu’elle ne serait jamais qu’un succédané. Elle a appris à relativise­r quand Marion Cotillard lui a dit «Mais Mélanie, tu en as rien à foutre!» Les gens confondent même les grandes vedettes. «Cotillard venait d’avoir un Oscar pour le rôle d’Edith Piaf dans La Môme et on n’arrêtait pas de lui dire «Bravo pour Amélie Poulain!» On la prenait pour Audrey Tautou! Alors…»

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