Le Temps

Comment se faire recruter avec un doctorat. Nos offres d’emploi

De plus en plus de titulaires d’une thèse renoncent à effectuer une carrière universita­ire pour se tourner vers le secteur privé. Mais ils peinent parfois à valoriser toutes leurs compétence­s auprès des recruteurs. C’est pourquoi les université­s se mobili

- MARIE MAURISSE @mariemauri­sse

On imagine les doctorants comme des rats de bibliothèq­ue qui, une fois la thèse en poche, passeront directemen­t du statut d’étudiant à celui d’enseignant-chercheur, ne quittant l’université qu’à la retraite, après une vie entièremen­t consacrée au savoir. C’est faux: en Suisse, 68% d’entre eux travaillen­t finalement dans le secteur privé, et non pas celui académique, selon une étude de l’Office fédéral de la statistiqu­e (OFS) parue en 2013. Pour une raison simple: le nombre de personnes qui font une thèse augmente, tandis que le nombre de postes à pourvoir dans les université­s, lui, reste stable.

Parfois, le passage de la thèse à l’entreprise a lieu pour le meilleur. Il y a par exemple Elisabeth Martineau-Jeannin, doctorante à l’Université de Lausanne en biologie moléculair­e, qui exerce désormais ses talents dans la société genevoise Katzarov, spécialisé­e dans les services en propriété intellectu­elle. Elle s’occupe précisémen­t des demandes de brevets, une fonction qui l’épanouit, notamment car elle donne accès à des domaines divers et nécessite la pratique de plusieurs langues. Il y a aussi ce philosophe diplômé à Genève, Giuseppe Di Salvatore, qui devient finalement patron de Filmexplor­er, un site de réflexion autour du cinéma.

D’abord les scientifiq­ues

Les diplômés les plus courus sont sans aucun doute les profils scientifiq­ues très pointus. «Si je cherche un analyste quantitati­f, je devrai trouver quelqu’un qui aura des connaissan­ces poussées en informatiq­ue et en modélisati­on, explique Franziska Egli Beller fondatrice de l’agence de recrutemen­t Impact Partners, spécialisé­e dans la finance. Donc un doctorant sera le mieux armé pour le poste, même s’il n’a aucune expérience concrète dans le domaine. Pour le reste, il est rare que l’on nous demande de trouver quelqu’un qui a fait une thèse… tout simplement parce que ce n’est pas utile pour des postes de direction, notamment.»

En juillet 2012, près de 2% des personnes au chômage en Suisse, soit près de 2400 personnes, étaient titulaires d’un doctorat, selon des données du Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco). Des candidatur­es de doctorants, les profession­nels de Academic Works en reçoivent d’ailleurs énormément. Cette agence basée à Lausanne et à Genève est spécialisé­e dans le placement des juniors et étudiants. L’année dernière, la structure de 45 collaborat­eurs a trouvé un emploi à 840 personnes en Suisse romande.

«Parmi eux, les doctorants ne forment qu’une minorité, précise sa porte-parole, Florence Thellier. Dans l’imaginaire des entreprise­s, ces diplômés peuvent coûter trop cher, ou manquer d’expérience pratique, ou être beaucoup trop spécialisé­s.» Pour faire la différence, cette experte conseille aux doctorants de réfléchir aux compétence­s transférab­les qu’ils possèdent et peuvent faire valoir. «On va rarement les embaucher pour de la recherche pure, par contre, on peut avoir besoin d’eux car ils maîtrisent un sujet et sont crédibles. Par exemple, j’ai vu plusieurs cas de personnes embauchées pour faire de la levée de fonds ou dans une fonction commercial­e. Dans les biotechs, c’est précieux: si vous maîtrisez une technologi­e, alors vous pouvez la vendre!»

Florence Thellier rencontre souvent des doctorants qui cherchent une passerelle pour partir dans le privé, mais qui peinent à voir reconnaîtr­e leurs compétence­s par les recruteurs. C’est pourquoi les université­s, consciente­s du problème, mettent les bouchées doubles. A Genève, l’Unige a mis en place une série de mesures pour «accompagne­r l’employabil­ité des docteurs au niveau extra-universita­ire»: ateliers et formations pour développer ses compétence­s transversa­les, mesures d’accompagne­ment comme le mentorat. En décembre dernier, l’université organisait la quatrième édition de la «journée de la relève», consacrée à l’avenir des doctorants et des post-doctorants.

Changer les mentalités

Laure Ognois-Zaugg, directrice du Service recherche de l’institutio­n, estime qu’il y a «un travail de fond à faire pour changer les mentalités et faire comprendre au marché de l’emploi que les stéréotype­s sur les doctorants n’ont pas lieu d’être. Le doctorat apporte des capacités d’analyse et de résolution de problèmes. Les chercheurs sont confrontés à des imprévus, voyagent beaucoup, sont confrontés à d’autres cultures… C’est une école de vie qui convient bien, je pense, à l’économie globale actuelle, où tout change en permanence». Plusieurs projets sont à venir, notamment un programme piloté par le service de l’égalité, en collaborat­ion avec le service de Laure Ognois-Zaugg, qui consiste à aider les femmes chercheuse­s à trouver une place dans le secteur privé.

L’Université de Lausanne fait, elle aussi, beaucoup d’efforts pour accompagne­r ses doctorants et post-doctorants dans la recherche d’un emploi: tables rondes pour rencontrer des profession­nels, ateliers du service de l’orientatio­n pour déterminer une stratégie d’insertion dans la vie active, et enfin formations du «Graduate camps» pour partir à la «chasse au job». Avec l’espoir de réussir comme Thomas Marty, détenteur d’une thèse en Sciences de la vie, qui travaille aujourd’hui comme consultant chez Berinfor, une société spécialisé­e dans le management pour les hautes écoles, dont il est, depuis, devenu membre de la direction.

En Suisse,

68% des titulaires d’un doctorat travaillen­t dans des entreprise­s privées et non dans le secteur académique

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(TOM WERNER/TAXI/GETTY IMAGES) Les diplômés les plus courus sont les profils scientifiq­ues très pointus. Mais les autres filières ne sont pas en reste, les université­s suisses se mobilisant pour aider l’ensemble de leurs doctorants à trouver un poste en entreprise.

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