Le Temps

Donald Trump, l’imprévisib­le showman qui électrise Davos

Le président américain a été attaqué toute la semaine par ses homologues. Très attendu, Donald Trump donnera un discours vendredi à 14h qui doit préciser sa politique: «America First» ou «America Alone»?

- STÉPHANE BENOIT-GODET ET VALÈRE GOGNIAT, DAVOS @SBenoitGod­et @valeregogn­iat

WEF «America First» ou «America Alone», le président américain s’impose

Donald Trump est arrivé «dans la gueule du loup», selon la formule d’un participan­t au Forum. Chauffés à blanc par les prises de position multiples contre le président américain durant les premiers jours du WEF, les congressis­tes se sont pourtant bousculés pour l’apercevoir et tenter de l’immortalis­er sur leurs smartphone­s.

Donald Trump se jette-t-il dans la gueule du loup? Ou est-ce le loup américain qui entre dans la bergerie grisonne, bien décidé à en ressortir avec «un paquet d’argent», comme il l’a annoncé? Son discours de vendredi et les réactions qui suivront le diront.

Ce qui semble acquis, c’est que sa visite ne se place pas sous le signe de l’apaisement à l’internatio­nal. Avec la Britanniqu­e Theresa May, qu’il a rencontrée jeudi, le malaise demeure; et il a ulcéré les Palestinie­ns en les menaçant de leur couper toute aide, après une rencontre bilatérale avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Récit d’une journée comme Davos n’en avait pas vécu depuis longtemps.

«C’est «business as usual». Qu’ils soient républicai­ns ou démocrates, les présidents américains ont toujours pensé à leur intérêt en premier»

UN CEO SUISSE «C’est très excitant d’être ici, nous sommes très contents. Les Etats-Unis vont très bien», a lancé Donald Trump à son arrivée.

Trump, Trump, Trump. Avant même que son avion ne touche le tarmac zurichois devant les caméras du monde entier, avant même que sa flotte d’hélicoptèr­es n’envahisse bruyamment le coeur des Alpes, le président américain occupait le terrain du World Economic Forum. Caché entre les lignes de tous les discours des chefs d’Etat. Embusqué dans les allusions et les traits d’humour à l’instar de cet animateur qui se demandait dès le premier jour du WEF: «Combien de temps pourrons-nous tenir sans utiliser le T Word?»

Qu’il s’agisse de sa réforme fiscale, de ses mesures protection­nistes, de la lutte contre le climat ou des tensions avec la Corée du Nord, Donald Trump aura hanté Davos toute la semaine. L’assemblée avait été chauffée à blanc ces derniers jours par toutes les prises de position contre lui. Le spectacle pouvait commencer.

Dès les alertes push sur les smartphone­s qui annonçaien­t sa descente d’avion, une fébrilité envahissai­t Davos. De mémoire d’habitué du rendez-vous, on n’avait jamais vu cela: une foule agglutinée pour suivre dans le Centre de congrès le showman, l’entertaine­r, le président des Etats-Unis. Pourquoi? Tout le monde s’imagine qu’il peut dire ou faire n’importe quoi d’une minute à l’autre. Une recette imparable pour attirer toute la lumière sur lui: c’est malin et cela fonctionne aussi bien dans des meetings au fin fond de l’Amérique rurale qu’au sein du club des élites le plus sélect.

Arrivé jeudi en début d’après-midi aux Grisons, Donald Trump fera son discours très attendu ce vendredi à 14h devant une salle des congrès qui promet d’être pleine à craquer. Comment sera-t-il reçu par le monde politique, le monde économique et que dira-t-il durant les 45 minutes qui seront à sa dispositio­n? Eléments de réponse.

Le monde politique l’accueille froidement

Mis à part la ministre américaine des Transports, Elaine Chao, qui estime que «Davos devrait être fier d’accueillir le président Trump», la plupart des politicien­s se pincent le nez. L’Europe a par ailleurs donné l’impression de prendre du muscle durant les premiers jours du Forum. Il y avait certes un peu de volontaris­me de la part de ses dirigeants. Mais pas seulement. Les résultats économique­s sont enfin là et un nouveau leader émerge du lot. Emmanuel Macron a en effet impression­né son public mercredi avec son discours très articulé. A la manière du président chinois, Xi Jinping, l’an dernier, le président français a proposé une vision alternativ­e de celle de son homologue américain.

Pour ce dernier, un allié naturel aurait dû être Theresa May. Mais, à l’heure du Brexit, la brouille entre les deux dirigeants s’avère tenace. La première ministre britanniqu­e a expériment­é à Davos cette année ce qu’il y a de pire, selon Philipp Jennings, le patron du plus grand syndicat mondial, UNI. Ce dernier cite Oscar Wilde: «Qu’on parle de vous en mal, c’est affreux. Mais il y a une chose pire: c’est qu’on n’en parle pas!»

Les dirigeants de premier plan ont tous mis en garde contre un retour du protection­nisme, du Canadien Trudeau au Brésilien Temer en passant par l’Indien Modi. Autant de munitions contre Donald Trump.

Le monde économique l’accueille chaudement

Chômage en baisse, marchés en hausse, croissance solide. Les principaux indicateur­s économique­s sont au vert et Donald Trump compte bien profiter de cette aubaine. «Je vais bientôt rejoindre Davos, Switzerlan­d, pour dire au monde combien l’Amérique se porte bien. Notre économie est en train de boomer et, avec tout ce que je fais, ne s’en portera encore que mieux. Notre pays est enfin en train de GAGNER de nouveau», twittait d’ailleurs – majuscules comprises – le président juste avant de monter dans Air Force One.

Difficile de lui donner tort: la plupart des patrons rencontrés lors du Forum ont le sourire. Essentiell­ement grâce au cadeau fiscal historique que le président américain a offert aux entreprise­s en fin d’année dernière. L’impôt des sociétés tombe de 35 à 20%, ce qui a par exemple conduit Apple à annoncer le rapatrieme­nt prochain de 38 milliards de dollars sur le sol américain. Donald Trump a d’ailleurs déclaré mercredi soir qu’il allait à Davos pour dire aux investisse­urs et aux entreprise­s de «ramener un paquet d’argent».

Ce message, une série de grands patrons triés sur le volet pourront l’entendre directemen­t jeudi soir. Donald Trump recevra une délégation de dirigeants européens. Pour un CEO suisse, le locataire de la Maison-Blanche n’a rien d’un iconoclast­e. «C’est business as usual. Qu’ils soient républicai­ns ou démocrates, les présidents américains ont toujours pensé à leur intérêt en premier. La question sera de savoir si c’est America Firstou America Alone.»

La combinaiso­n d’une forte baisse d’impôts et d’un affaibliss­ement du dollar rend les choses claires pour cet interlocut­eur: «Cela veut dire: venez faire du business chez nous. Et quand l’économie se mettra à ralentir, les sociétés américaine­s qui sont encore établies dans des pays très chers comme la Suisse sabreront d’abord dans leurs effectifs à l’étranger.»

Ce qu’il va dire dans son discours

«Stay tuned and you’ll hear it» [«Restez en ligne et vous verrez bien»]. Jeudi matin, lorsqu’un journalist­e a demandé à la délégation américaine ce que Donald Trump allait dire durant son discours, le secrétaire d’Etat au commerce, Wilbur Ross, s’en est sorti avec cette boutade. Et son voisin de table, le conseiller du président à la Sécurité intérieure, Tom Bossert, s’est contenté de répéter ce qu’on peut lire depuis plusieurs jours dans les médias américains: «Il dira que les Etats-Unis amènent de la stabilité pour les bonnes entreprise­s.»

Comme le résumait mardi David Rubenstein, le fondateur du puissant gestionnai­re d’actifs américain Carlyle, Donald Trump a deux options: soit il vient à Davos pour affirmer que la globalisat­ion n’est pas une bonne chose et demander à tout le monde de s’aligner sur lui, soit il soutient qu’il avait été mal compris et que son slogan «America First» était bon pour tout le monde.

Outre l’aspect économique, Donald Trump pourrait également aborder des questions sur l’agenda géopolitiq­ue. En appelant par exemple les leaders du monde entier à s’unir contre la Corée du Nord, l’Etat islamique ou l’Iran – un refrain assez familier et déjà entendu lors de ses précédents discours publics.

Donald Trump adore jouer de son humeur imprévisib­le. Le président du congloméra­t japonais Hitachi, Hiroaki Nakanishi, déclarait d’ailleurs qu’il s’agissait d’un vrai sujet de préoccupat­ion. «C’est très, très important pour nous. On ne peut pas imaginer ce que sera sa prochaine déclaratio­n. Nous n’avons aucune idée» de ce qu’il pourra déclarer vendredi.

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(FABRICE COFFRINI/AFP)

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