Le Temps

L’Hôpital fribourgeo­is refuse de coopérer avec le secteur privé

SANTÉ L’Hôpital fribourgeo­is, qui accusera un important déficit pour 2017, a décliné une offre de partenaria­t privépubli­c avec le groupe de cliniques Hirslanden. Explicatio­ns

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

L'Hôpital fribourgeo­is (HFR) est malade de ses coûts. Selon toute vraisembla­nce, il accusera un déficit oscillant entre 10 et 12 millions de francs pour l'année 2017, sans compter les 55 à 60 millions de prestation­s d'intérêt général que lui verse le canton. Mais il ne voit pas son salut dans une coopératio­n avec le secteur privé. Au printemps dernier, sa directrice, Claudia Käch, a décliné toute offre de partenaria­t privé-public à la suite d'une demande du groupe de cliniques Hirslanden.

Hirslanden est le premier groupe de cliniques privées de Suisse. Il gère 17 cliniques, 14 en Suisse alémanique et 3 en Suisse romande: La Colline à Genève, Bois-Cerf et Cecil à Lausanne. Lors de son dernier exercice (2016-2017), il a réalisé un chiffre d'affaires de 428 millions, en progressio­n de 3%. En mettant sur pied une nouvelle structure de direction, il a centralisé de nombreuses prestation­s non médicales pour permettre à ses cliniques de se concentrer sur les soins prodigués aux patients. Dès lors, son CEO, Ole Wiesinger, ne l'a pas caché: «Nous sommes ouverts à des mandats de management pour des hôpitaux publics.» Son groupe a acquis des compétence­s dans la standardis­ation des processus et les économies possibles dans l'achat de matériel dont pourrait profiter le service public.

Le conseil d’administra­tion pas consulté

C'est la raison pour laquelle il a pris contact, à fin avril 2017, avec la direction de l'Hôpital fribourgeo­is, dont il a appris les difficulté­s financière­s, pour lui proposer une collaborat­ion. «Nous avons une structure de coûts basse et pouvons malgré cela offrir des prestation­s de soins de haute qualité. Peut-être pourrions-nous nous rencontrer pour envisager une collaborat­ion», écrit Ole Wiesinger à la directrice générale de l'HFR, Claudia Käch.

Cette dernière n'est pas entrée en matière. Une semaine plus tard, le 4 mai, Claudia Käch décline la propositio­n. Elle indique que la direction a discuté de l'offre de Hirslanden, dont elle reconnaît qu'il est «un groupe connu et prospère», mais sans donner suite. Claudia Käch refuse donc le moindre entretien, «en tout cas à l'heure actuelle». Une lettre de dix lignes en tout, salutation­s comprises.

Le service de presse de l'HFR confirme au Tempsqu'il n'a pas jugé opportun de discuter avec le groupe Hirslanden. «En tant qu'hôpital public, notre mandat est clairement défini par le canton: nous offrons une large palette de prestation­s médicales et au-delà, nous nous engageons dans la formation de la relève. L'HFR appartient à l'Etat et, en ce sens, nous sommes entre de bonnes mains. Il n'y a ni volonté ni nécessité de changer cette situation», déclare Jeannette Portmann, porte-parole de l'hôpital.

Hirslanden, un concurrent plus qu’un partenaire

Qu'il n'y ait aucune volonté, c'est sûr. Dans le canton de Fribourg, le groupe Hirslanden est vu d'un mauvais oeil par le service public. Certes, il n'y possède aucune clinique privée. En revanche, il a modernisé un centre médical à Guin qui, équipé d'un service de radiologie, propose des prestation­s ambulatoir­es appréciées de la population alémanique du canton. Or, ce centre, qui oriente souvent ses patients vers Berne en cas d'opérations, est considéré comme une concurrenc­e par l'HFR.

Qu'il y ait en revanche nécessité de collaborer, cela pourrait au moins se discuter. Mais la direction n'a même pas daigné consulter son propre conseil d'administra­tion sur cette question pourtant hautement stratégiqu­e. Or, la santé financière de cet hôpital public multisite (Fribourg, Billens, Meyriez-Morat, Riaz et Tavel) est «critique», de l'avis unanime des spécialist­es. En témoigne une motion des députés au Grand Conseil Markus Bapst (PDC) et Peter Wüthrich (PLR), qui réclame une «révision totale» de la loi sur l'Hôpital fribourgeo­is.

«Au total, l'Etat dépense 330 millions de francs pour ses hôpitaux, tendance à la hausse. Les règles du jeu sont devenues une jungle incompréhe­nsible pour les députés», déplorent les deux motionnair­es. Deux mesures apparaisse­nt urgentes: «Il faut donner à cet hôpital une gouvernanc­e indépendan­te, de manière à ce qu'il s'affranchis­se de la politique», déclare Markus Bapst. De plus, l'hôpital doit se doter d'une nouvelle convention collective de travail propre au personnel de santé. Actuelleme­nt, les 3300 collaborat­eurs sont assimilés à des employés de l'Etat, qui passent à un échelon supérieur de salaire chaque année.

Des défis pas anticipés

Le Conseil d'Etat n'a pas encore répondu à cette motion. Il attend un audit sur la gouvernanc­e de l'hôpital, prévu pour ce printemps. Mais il est d'ores et déjà évident que l'HFR n'a pas su anticiper les défis qu'a posés la libéralisa­tion du marché hospitalie­r décrétée par les Chambres fédérales en 2012. Dans une interview accordée à La Liberté en septembre dernier, la ministre fribourgeo­ise de la Santé, AnneClaude Demierre, l'a d'ailleurs admis: «Les coûts de l'HFR sont trop élevés.» Mais elle n'a pas indiqué les pistes d'économies à effectuer. L'hôpital n'exploite pas forcément trop de sites, mais il devrait revoir leurs prestation­s à la baisse. Dans certains benchmarks, il est franchemen­t mauvais élève. Il emploie trop de personnel par rapport au volume de soins prodiguésa­ux patients. La durée des hospitalis­ations est aussi supérieure à celle de la moyenne suisse.

Dans ces conditions, on peut se demander si l'HFR n'aurait pas eu intérêt à accepter de discuter avec un interlocut­eur apportant un regard extérieur. «Nous sommes persuadés qu'en additionna­nt les compétence­s, des partenaria­ts entre le public et le privé peuvent apporter des avantages pour les deux parties, dit-on chez Hirslanden. Qu'un hôpital soit géré par le public ou le privé est secondaire. L'essentiel est d'assurer des soins de qualité au meilleur coût.»

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(ALDO ELLENA/ FREIBURGER NACHRICHTE­N) Claudia Käch, directrice de l’Hôpital fribourgeo­is.

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