Lula, l’homme le plus aimé et le plus haï du Brésil
Condamné en appel, l’ancien président, 72 ans, voit s’éloigner la possibilité de se présenter à l’élection présidentielle. Il reste pourtant en tête des sondages
Au lendemain de la confirmation, le mercredi 24 janvier, de la condamnation de Luiz Inácio Lula da Silva pour corruption passive et blanchiment d’argent, le Parti des travailleurs (PT) a réaffirmé que Lula, son chef historique, sera bien son candidat à la présidentielle d’octobre au Brésil. Il est le favori du scrutin, avec 34 à 37% d’intentions de vote, mais un plan B serait désormais à l’étude. On parle de l’ex-maire de São Paulo Fernando Haddad ou de l’ex-gouverneur de la Bahia Jaques Wagner.
Car l’ancien président du Brésil (20032010) est désormais «plus proche de la prison que du palais présidentiel du Planalto», écrit le journal O Globo. Les trois juges de la huitième chambre de la cour d’appel de Porto Alegre ont non seulement entériné la sentence rendue le 12 juillet 2017 par le magistrat Sergio Moro, chargé de l’enquête dite «lava jato» (lavage express) sur les détournements autour du groupe pétrolier national Petrobras, mais ils ont également alourdi la peine de prison requise contre lui, de 9 ans et demi à 12 ans et 1 mois.
Un jugement trop rapide
Luiz Inácio Lula da Silva, 72 ans, serait ainsi le véritable propriétaire d’un triplex en bord de mer, qui aurait été aménagé pour lui à grands frais par le groupe de bâtiment OAS, en échange de contrats frauduleux avec Petrobras. Et cela même si ce supposé renvoi d’ascenseur n’a pas été prouvé et que la propriété du bien n’a pas été transférée à son bénéficiaire désigné.
La voie est désormais ouverte pour rendre inéligible le plus grand leader populaire de l’histoire récente du Brésil, voire pour l’arrêter. Ses avocats dénoncent une «justice d’exception» – ils en veulent notamment pour preuve la célérité peu commune du tribunal pour examiner le cas. Ils ont bien l’intention d’exploiter toutes les voies de recours. La sentence ravive les divisions des Brésiliens autour de la figure de Lula, à la fois l’homme le plus aimé et le plus haï du pays.
Alors qu’à droite on salue une décision «technique», capable de faire reculer l’impunité des puissants, la gauche crie à une machination pour le retirer du jeu politique. «Lula se serait donc vu promettre un appartement qu’il n’a jamais reçu ni même occupé, écrit Eugenio Bucci, son ancien collaborateur. Voilà qui va renforcer la thèse d’une conspiration contre le PT ainsi que les soupçons d’une justice partisane.» «On le juge parce qu’il vient d’en bas, s’emporte, en écho, Anderson, un électeur de Lula. Va-t-on juger aussi Michel Temer et le sénateur Aécio Neves?» Ces deux figures de droite sont également impliquées dans l’affaire Petrobras.
«La continuation du putsch»
Ironie du sort, c’est Lula qui avait promulgué, en 2010, la loi dite du «casier vierge», née d’une initiative populaire et selon laquelle une condamnation collégiale en appel vaudrait l’inéligibilité. «L’hypothèse de sa candidature est presque égale à zéro», écrit le politologue Carlos Melo, qui rappelle que sa condamnation à l’unanimité réduit les possibilités de recours.
Selon la presse, l’incertitude pourrait cependant durer jusqu’au bout. Il n’est pas impossible que Lula, même condamné, dispute, voire remporte le scrutin, pour voir son résultat éventuellement annulé. Pour ses partisans, «cette sentence est la continuation du putsch» qui a destitué l’an dernier sa successeur Dilma Rousseff. «La droite veut Lula hors jeu parce qu’elle craint qu’il se radicalise s’il revenait au pouvoir, renchérit Rafael Tramm, un vieux militant. Or, Lula a amélioré les conditions de vie des pauvres sans faire de mal aux riches. Ils seraient plus avisés de le laisser en paix. Lula est un négociateur, un modéré. Il pourrait être remplacé par quelqu’un qui ne l’est pas.»
Vanessa, enseignante, parle d’une «gauche discréditée, d’un Lula usé par les accusations [il affronte huit autres procédures judiciaires, ndlr]. Le PT a trop misé sur sa défense.» «Au lieu de tout nier, il aurait dû choisir le douloureux chemin du mea culpa pour mieux se reconstruire», renchérit Fernando Gabeira, un ancien militant qui a changé de parti.
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