Le Temps

A Davos, les «millennial­s» prennent la parole

Ils ont moins de 33 ans et veulent changer le monde. Ce sont les Global Shapers, la communauté créée par le fondateur du Forum économique mondial, Klaus Schwab. A Davos, ils s’engagent pour l’environnem­ent, contre l’inégalité des sexes et ils se frottent

- ALAIN JEANNET, DAVOS @alainjeann­et

Ils ont les yeux qui brillent quand ils parlent de leur rencontre avec Jack Ma. Il faut dire que le patron légendaire d’Alibaba, le géant chinois de l’e-commerce, met beaucoup de lui-même dans ses échanges avec ceux qu’on appelle les Global Shapers: une communauté de jeunes adultes âgés de moins de 33 ans lancée par le fondateur du World Economic Forum (WEF), Klaus Schwab. Sur une idée simple: les jeunes doivent pouvoir prendre la parole et contribuer à construire le monde qui sera le leur. Ce réseau soutenu par le WEF compte, six ans après sa création, plus de 7000 membres dans 159 pays.

Ce mercredi en fin d’après-midi, dans le Congress Centre de Davos, une cinquantai­ne d’entre eux bombardent Jack Ma de questions sur les risques liés à l’intelligen­ce artificiel­le, sur l’inégalité des chances entre hommes et femmes… et sur le besoin de sommeil de ce petit homme parti de rien et qui désormais régate avec les géants de la Silicon Valley.

Car l’empire Alibaba, c’est aussi plus de 15 milliards de dollars investis sur trois ans dans la recherche sur les fintechs et l’intelligen­ce artificiel­le. Les Chinois ne sont plus seulement des copieurs. Dans certains domaines, ils mènent le bal.

La guerre contre la faim et l’exclusion

Selon la vision de Jack Ma, expliquée aux Global Shapers, les deux premières guerres mondiales trouvent leur origine dans des chocs technologi­ques (la machine à vapeur, l’électricit­é…) et les bouleverse­ments sociaux économique qui se sont ensuivis. La révolution numérique provoquera-t-elle un nouveau conflit planétaire?

Jack Ma souligne les risques de déséquilib­res provoqués par les percées scientifiq­ues et techniques récentes. Mais il y voit surtout, en indécrotta­ble optimiste, la possibilit­é d’une «troisième guerre mondiale» victorieus­e contre… la faim, la maladie, l’exclusion, le réchauffem­ent climatique. Standing ovation!

Parmi les enthousias­tes, le Mexicain Jesus Cepeda, représenta­nt des Global Shapers du hub de Monterrey, une ville jusqu’à récemment en proie à la violence et aux crimes des cartels de la drogue. Docteur en robotique, il a travaillé sur les véhicules autonomes avant de changer de direction. «On peut avoir un impact beaucoup plus rapide sur la société avec des technologi­es plus légères comme les smartphone­s et le cloud computing (informatiq­ue en nuage).» Avec sa société One Smart City, il aide les administra­tions à améliorer leur gouvernanc­e, à mieux gérer les données qu’elles collectent tout comme la distributi­on d’eau et d’énergie. Et lutte de ce fait contre la corruption toujours endémique au Mexique.

Les projets des Global Shapers sélectionn­és, soutenus et financés au travers du WEF doivent avoir un rayon d’action local même s’ils font ensuite l’objet d’échanges à l’échelle mondiale

Ingénieur civil de formation, l’Irakienne Basima Abdulrahma­n a elle aussi été chahutée par l’histoire. Née à Bagdad, elle a fui avec ses parents à Erbil, dans le Kurdistan irakien, à la suite de l’invasion américaine de 2003. Après quelques années passées aux Etats-Unis, elle est revenue en Irak et a travaillé pour l’ONU dans la gestion de la crise humanitair­e provoquée par Daech. «Maintenant que l’Etat islamique est en déroute, dit-elle, il faut que nous reconstrui­sions notre pays.»

«Le nouveau Daech, ce pourrait être le manque chronique d’eau, la sécheresse, les dégâts environnem­entaux.» Voilà pourquoi elle a créé KESK, afin de promouvoir et développer une architectu­re durable et adaptée aux conditions irakiennes. Dans le cadre des Global Shapers, elle a attiré l’attention de Klaus Schwab lui-même par un projet original: un programme de soutien aux personnes atteintes du cancer. «En Irak, en matière d’assistance psychologi­que, nous restons complèteme­nt démunis.»

C’est un principe fondateur de l’initiative des Global Shapers: les projets sélectionn­és, soutenus et financés au travers du WEF doivent avoir un rayon d’action local même s’ils font ensuite l’objet d’échanges à l’échelle mondiale. Et ce sont la valeur et la mise en oeuvre de ces idées qui peuvent valoir à quelques dizaines de ces jeunes d’être chaque année invités à Davos. Pour se rencontrer entre eux mais aussi pour se frotter à des dirigeants politiques ou économique­s souvent inatteigna­bles. Comme Jack Ma et bien d’autres. Pour Basima Abdulrahma­n, ce fut une rencontre impromptue… avec le premier ministre irakien.

Lutter contre la pénurie de crèches

Zineb El Ouazzani, elle, représente le hub de Genève. Elle a été parmi les 200 meilleures joueuses mondiales de tennis. Numéro un au Maroc pendant des années, très bien classée dans le circuit universita­ire américain jusqu’à ce que les autorités lui retirent son visa, elle a été responsabl­e des Global Shapers de Rabat et a fait carrière chez Microsoft avant de déménager en Suisse. Par amour, pour se rapprocher de son futur mari, lui aussi un Global Shaper rencontré lors d’un meeting du WEF.

On l’interroge sur ses projets genevois. Elle sourit, elle qui a promu l’entreprene­uriat des femmes au Maroc. Elle raconte son étonnement lorsqu’elle découvre la pénurie de crèches qui sévit et le peu de soutien accordé aux familles.

Un projet, donc, parmi d’autres: inciter les entreprise­s à créer leur propre garderie. Vaste programme. Questionné sur l’égalité des sexes, un débat omniprésen­t cette année à Davos, Jack Ma a pu faire valoir, lui, des chiffres assez exemplaire­s: chez Alibaba, 49% des collaborat­eurs et 37% des cadres supérieurs sont des femmes.

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(WEF) A Davos, Jack Ma a débattu avec une cinquantai­ne de jeunes de l’égalité hommes-femmes ou encore des risques liés à l’intelligen­ce artificiel­le.

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