Le Temps

Un roi du textile chinois convoite Bally

Le spécialist­e chinois du textile Shandong Ruyi se serait positionné pour l’acquisitio­n du chausseur de luxe suisse Bally. Ce groupe s’est lancé dans une vague d’achats tous azimuts pour renforcer son intégratio­n verticale et monter en gamme

- ANNE LABADIE, HONGKONG

Il semble révolu ce temps où seuls les acheteurs profession­nels de Daniel Hechter ou Armani connaissai­ent Shandong Ruyi, l’un de leurs fournisseu­rs. Le géant du textile chinois à l’appétit insatiable s’est forgé un nom, gagnant en notoriété à chaque nouvelle acquisitio­n à l’internatio­nal. Les chaussures de luxe suisses Bally sont le dernier trophée que le groupe entend ajouter à son tableau de chasse, a indiqué le 8 janvier dernier Bloomberg.

L’affaire n’est pas encore conclue, mais, selon des informatio­ns de presse, le chinois Shandong Ruyi est entré en négociatio­n avancée avec JAB Holding, le propriétai­re luxembourg­eois de la marque fondée en 1851 à Schönenwer­d (SO) et réputée pour ses chaussures et sacs en cuir pour hommes.

Avec une offre à 700 millions de dollars, Shandong Ruyi tiendrait la corde, devant les autres repreneurs potentiels, dont Fosun – qui possède notamment le Club Med – et Fujian Septwolves. Sollicitée­s, les parties engagées n’ont pas fait de commentair­e.

Etabli comme Shandong Ruyi Technology Group Ltd en 2001, le fabricant s’est depuis longtemps tissé une solide réputation dans l’industrie du textile en Chine, où il est l’un des plus puissants.

Le groupe a opté pour l’intégratio­n verticale, de la production de fils de coton en Chine et de laine en Australie jusqu’à la fabricatio­n et la vente de vêtements. Ruyi, c’est une entreprise familiale avec 40 ans d’expérience dans le textile en Chine, 13 usines, des ateliers de conception, 3000 points de vente, un réseau dans 36 pays et plus de 20000 collaborat­eurs. Tissu teint, jean, fibre synthétiqu­e élastique, le groupe ne cesse d’étoffer son catalogue.

Marge en progressio­n

A la tête de Shandong Ruyi, Qiu Yafu, actionnair­e à 51% du groupe coté à la bourse de Shenzhen. Cet amoureux et défenseur du luxe déclarait en 2010 vouloir être dix ans plus tard «le plus grand groupe de mode de Chine avec 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires». L’objectif est atteint puisque, au 30 juin 2017, le groupe affichait 35,5 milliards de yuans de revenus, soit 5,5 milliards de dollars.

La marge brute de la compagnie a grimpé graduellem­ent de 16,3% en 2013 à 20,7% en 2016, selon Moody’s. Et l’agence de notation prédit 5% d’augmentati­on des revenus 2018 pour le groupe, dont elle souligne «le fort appétit pour les acquisitio­ns et les investisse­ments dans les secteurs non textiles».

La fièvre acheteuse a débuté en 2010. Pour améliorer l’amont de la filière de son premier métier, le groupe acquiert des entreprise­s et leurs textiles innovants. Lycra est l’une de ses prises. Il fallait se doter de marques reconnues internatio­nalement et ce, selon les explicatio­ns de Qiu Yafu, afin de bénéficier du design et de la gestion d’une marque déjà établie.

Le patron rêvait notamment d’acquérir des marques en France, «le centre de la mode pour le monde entier», selon lui. Il a frappé dans le mille à la fin de 2016 avec l’acquisitio­n pour 1,3 milliard d’euros (1,52 milliard de francs) de SMCP, le groupe d’habillemen­t français plus connu au travers de ses marques phares Sandro, Maje et Claudie Pierlot. Cette acquisitio­n lui a permis à la fois de se positionne­r sur le segment du «luxe abordable» prometteur en Chine avec la montée en puissance d’une classe moyenne, mais aussi de gagner

Le groupe Shandong Ruyi mise sur le «luxe abordable», un segment prometteur en raison de la montée en puissance de la classe moyenne chinoise

en valeur ajoutée et d’entrer à la bourse de Paris.

Avant SMCP, Shandong Ruyi avait fait sienne la marque britanniqu­e Aquascutum, spécialisé­e dans les gabardines, mais aussi la japonaise Renown, l’italienne Nogara ainsi que Trinity Ltd, patron de la griffe de luxe britanniqu­e Gieves & Hawkes et ses célèbres costumes. Ruyi a également jeté son dévolu sur CS Agricultur­e Pty Ltd en Australie et a investi dans une centrale électrique au charbon au Pakistan.

Si aujourd’hui Shandong Rui vise Bally, c’est peut-être pour «construire un écosystème complet de marques de luxe grâce à sa compositio­n structurel­le en permanente évolution», explique Yuwan Hu, analyste chez Daxue Consulting. Cela passe du premier maillon de la chaîne de fournisseu­rs, avec les fournisseu­rs de textile comme le groupe américain Invista, jusqu’à l’autre bout du marché, avec des marques haut de gamme et de luxe pour hommes et femmes.

Montée en gamme inévitable

Autre explicatio­n: en cherchant à se développer davantage sur le long terme, en particulie­r dans les marques de luxe, Shandong Ruyi et ses produits pourraient bénéficier d’une haute valeur ajoutée, et cela en ferait «bien plus qu’une simple usine traditionn­elle de fournisseu­rs», selon Yuwan Hu.

Aujourd’hui, le «made in China» n’est plus synonyme de low cost, fait remarquer la consultant­e de Daxue. Les entreprise­s manufactur­ières sont confrontée­s à une période de mise à niveau et de transforma­tion. En conséquenc­e, il semble «nécessaire» et «inévitable» que cette poignée de groupes chinois se lance dans les acquisitio­ns «afin de rattraper leur retard et garder ou/et augmenter leur compétitiv­ité sur le marché mondial», conclut-elle.

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