Le Temps

Médecin accusé d’avoir abusé de 159 gymnastes

La Fédération américaine de gymnastiqu­e est éclaboussé­e par un scandale sans précédent. Egalement accusé d’avoir fermé les yeux sur les abus sexuels commis par Larry Nassar, le Comité national olympique a présenté ses excuses

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

C’est le plus grand scandale d’abus sexuels jamais révélé dans le monde du sport. Larry Nassar est accusé d’avoir abusé de 159 athlètes alors qu’il était médecin de la Fédération américaine de gymnastiqu­e. Devant la justice, qui l’a condamné à 175 ans de prison, les victimes ont livré des témoignage­s glaçants. Mais ce procès est aussi celui des dirigeants de l’instance sportive, qui essuient une pluie de critiques pour avoir tardé à dénoncer les agissement­s du docteur pervers.

Larry Nassar. Ce nom est désormais pour toujours associé au plus grand scandale d’abus sexuels jamais révélé dans le monde du sport. Un scandale qui touche de plein fouet la Fédération américaine de gymnastiqu­e. Médecin de 54 ans, Larry Nassar est apparu ces derniers jours au tribunal de Lansing (Michigan) voûté, les yeux cernés, mal rasé; il est jugé pour sept des dix chefs d’accusation pour lesquels il a plaidé coupable. Déjà frappé le mois dernier par une sentence de 60 ans de réclusion pour possession d’images pédopornog­raphiques, il a été condamné mercredi à une peine allant de 40 à 175 ans de prison. Un troisième jugement est attendu. La juge Rosemarie Aquilina a été très claire: «Avec ces trois jugements, il ne verra plus la lumière du jour. Et le prochain juge qu’il verra, ce sera Dieu.»

La championne Simone Biles

Pendant sept jours d’audience, les Américains ont découvert avec effroi l’ampleur des atrocités commises: 159 victimes ont livré des témoignage­s glaçants, sans équivoque. Parmi elles, de grands noms de la gymnastiqu­e américaine: les médaillées olympiques Simone Biles, Aly Raisman, Gabby Douglas, McKayla Maroney et Jordyn Wieber.

Durant ce procès hors norme, certains parents ont appris qu’ils étaient dans la même pièce que l’abuseur lorsque leur enfant a subi des attoucheme­nts. Larry Nassar parvenait à commettre ses méfaits en faisant barrage avec son corps, en tournant le dos aux parents et à l’entraîneur quand il prodiguait ses «soins» sur une table. Il utilisait aussi parfois des linges. Et n’hésitait pas, sous prétexte de soulager des douleurs, à glisser ses doigts dans le vagin de ses victimes. Il appelait ça son «traitement spécial». Le médecin a agi en toute impunité pendant plus de deux décennies. Il a intégré l’équipe médicale de USA Gymnastics en 1986, avant d’en être le coordinate­ur entre 1996 et 2015.

Les victimes étaient souvent trop jeunes – certaines avaient seulement 6 ans – ou trop fragiles pour comprendre que l’éminent médecin abusait de sa situation. Ou habitées par un sentiment de culpabilit­é. Elles craignaien­t aussi de voir leur rêve olympique terrassé à tout jamais. Larry Nassar les manipulait. Il exerçait une emprise mentale sur elles, leur offrait des cadeaux. Des gymnastes vont jusqu’à parler de «lavage de cerveau». Quant aux parents, obnubilés par l’envie de voir leur enfant monter sur le podium, ils étaient aveuglés par cet ostéopathe «faiseur de miracles», qui prodiguait ses conseils sur YouTube. Ils n’avaient qu’un seul objectif: que le médecin répare le corps de leur graine de championne.

«A ta mort, tu iras en enfer»

«Comment ai-je pu ne pas comprendre ce que vous faisiez?» a témoigné Anne Swinehart, mère d’une gymnaste, au tribunal. Elle se rappelle avoir vu un jour sa fille grimacer de douleur. Elle réalise maintenant que «ce n’était pas un muscle noué qui avait provoqué ça». Sa fille avait 8 ans. Jillian Swinehart affirme aujourd’hui avoir été abusée «une centaine de fois», jusqu’en 2016.

Pendant sept jours, les témoignage­s se sont abattus comme dans un jeu de dominos. Les filles n’ont pas toutes témoigné à visage découvert. Certaines l’ont fait anonymemen­t, via des messages audio ou des déclaratio­ns écrites lues par un tiers. Mais des athlètes ont aussi tenu à affronter leur bourreau, à planter leur regard dans le sien et à s’adresser à lui, en des termes parfois très violents. «Tu m’as manipulée pour que je croie que tu étais gentil et que tu m’aidais, pendant que tu m’agressais sexuelleme­nt, encore et encore et encore, pour ton seul plaisir sexuel tordu», lui a par exemple lancé Jamie Dantzscher, médaillée aux JO de Sydney de 2000.

Sur la chaîne CBS, la jeune femme a précisé qu’il avait l’habitude de mettre ses doigts à l’intérieur d’elle: «Il me disait que j’allais ressentir un «pop» et que cela remettrait mes hanches en place et soulagerai­t mes douleurs au dos […]. Il était comme un ami. Les entraîneur­s étaient horribles, il était gentil.» Taylor Livingston regrette, elle, de ne pas avoir osé raconter ce qui lui était arrivé à son père, décédé l’an dernier. Elle a asséné à Larry Nassar: «A ta mort, tu iras en enfer. Mais avant, tu passeras devant mon père, qui sait maintenant ce que tu as fait… Et là, tu vas souffrir.»

Ce procès, c’est celui d’un prédateur sexuel manipulate­ur qui s’est longtemps cru tout-puissant, mais c’est aussi celui d’une fédération. En tardant à dénoncer les agissement­s de son médecin-chef malgré plusieurs plaintes et de lourds soupçons, USA Gymnastics doit aujourd’hui affronter un torrent de critiques. Elle a fermé les yeux sur des actes graves. Le 22 janvier, trois de ses dirigeants, sous pression, ont démissionn­é. Le président de USA Gymnastics, Steve Penny, avait déjà rendu son tablier en mars 2017.

La fédération assure aujourd’hui avoir mis en place une nouvelle politique, incitant à dénoncer tout soupçon d’abus sexuel. Elle vient aussi de rompre son partenaria­t avec le ranch Karolyi, le centre d’entraîneme­nt national où plusieurs athlètes ont été agressées. Pas sûr que cela soit suffisant pour laver sa réputation et rassurer les parents. La Fédération internatio­nale de gymnastiqu­e a réagi par la voix de son président, Morinari Watanabe, «le coeur brisé» par les forts témoignage­s livrés cette semaine. «Il est maintenant temps d’apparaître comme une famille unie; avec la nouvelle présidente de USA Gymnastics, Kerry Perry, nous allons nous assurer que ces tragiques événements ne pourront plus se reproduire», écrit-il. Un nouvel organe indépendan­t pour recueillir des soupçons d’abus sexuels sera bientôt mis sur pied.

«Nous devons savoir qui savait»

Le Comité national olympique est également montré du doigt. Le médecin abuseur a participé à quatre éditions des JO. Le comité a attendu l’énoncé du verdict pour annoncer qu’il allait lancer une enquête indépendan­te, comme demandé par la triple médaillée d’or olympique Aly Raisman. «Nous devons savoir qui savait quoi et quand», explique son président dans une longue lettre ouverte adressée à tous les sportifs américains. ll présente des excuses. Plus intéressan­t, il écrit ceci: «Nous avons fortement envisagé de décertifie­r la Fédération américaine de gymnastiqu­e en tant qu’organe national de gouvernanc­e. Mais USA Gymnastics comprend des clubs et des athlètes qui n’ont rien à faire là-dedans et qui ont besoin d’être soutenus […]. Nous poursuivro­ns par contre ce démantèlem­ent si USA Gymnastics n’adopte pas pleinement les changement­s nécessaire­s […].» Il demande la démission de tous les directeurs actuels de la fédération.

Ce n’est pas tout. La NCAA, l’instance dirigeante de sport universita­ire, a elle aussi décidé d’ouvrir une enquête, Larry Nassar ayant travaillé de 1997 à 2016 au sein de l’équipe médicale de l’Université du Michigan. Plusieurs plaintes ont été étouffées par l’université, assurent des victimes – des gymnastes, mais aussi des danseuses, des coureuses de fond et des rameuses. L’université dément avoir cherché à réduire des athlètes au silence.

Une «armée de survivante­s»

L’affaire Larry Nassar laissera des traces. Elle a été déclenchée en août 2016, grâce à un article de l’Indianapol­is Star. Le quotidien est parvenu à expliquer le licencieme­nt de Nassar de la Fédération américaine de gymnastiqu­e en 2015 grâce à deux gymnastes, qui, pour la première fois, ont raconté publiqueme­nt leur calvaire. Il s’agit de Rachael Denholland­er et de Jamie Dantzscher, dont le nom n’est apparu que plus tard. Depuis, une à une, les victimes sont sorties du bois.

Simone Biles, vedette des JO de Rio en 2016 avec quatre médailles d’or, n’a rejoint le rang des accusatric­es que tardivemen­t. Elle l’a fait le 15 janvier dernier sur Twitter: «Moi aussi je suis une des nombreuses survivante­s qui ont été abusées sexuelleme­nt par Larry Nassar. Croyez-moi quand je dis que c’était beaucoup plus difficile de prononcer ces mots pour la première fois à voix haute que de les poser maintenant par écrit.» «Je ne laisserai pas un seul homme, ni ceux qui l’ont soutenu, voler mon amour [pour le sport, ndlr] et ma joie», rajoute-t-elle, bien déterminée à ce que son nom ne reste pas associé au scandale et à un statut de victime.

Dans une brève déclaratio­n, Larry Nassar, marié et père de trois enfants, a dit regretter «la douleur, le traumatism­e et la destructio­n émotionnel­le» infligés à ses victimes. Au tribunal, la juge Rosemarie Aquilina, celle qui a prononcé la désormais mythique phrase «Je viens de signer votre arrêt de mort», a parlé d’elles comme d’une «armée de survivante­s». Des «survivante­s» qui, encouragée­s par le mouvement #MeToo, espèrent pousser d’autres athlètes à oser dénoncer des comporteme­nts déplacés de la part de leur médecin, coach ou manager. Et libérer des paroles.

«Tu m’as manipulée pour que je croie que tu étais gentil et que tu m’aidais, pendant que tu m’agressais sexuelleme­nt, encore et encore et encore» JAMIE DANTZSCHER, MÉDAILLÉE AUX JO DE SYDNEY

 ?? (RENA LAVERTY/EPA/KEYSTONE) ?? Larry Nassar a été condamné mercredi à une peine de prison allant de 40 à 175 ans pour avoir, durant des décennies, abusé de jeunes athlètes en prétendant leur prodiguer des soins. Certaines n’étaient âgées que de 6 ans.
(RENA LAVERTY/EPA/KEYSTONE) Larry Nassar a été condamné mercredi à une peine de prison allant de 40 à 175 ans pour avoir, durant des décennies, abusé de jeunes athlètes en prétendant leur prodiguer des soins. Certaines n’étaient âgées que de 6 ans.

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