Le Temps

Les premières images de la ruée vers l’or

- PAR CAROLINE STEVAN t @CarolineSt­evan

Coloma, Californie, 1854, daguerréot­ype colorisé et rehaussé à l’or. Un beau livre dévoile quelques pépites photograph­iques qui racontent la ruée vers l’or au milieu du XIXe siècle, quand la photograph­ie venait d’être inventée. Un témoignage fascinant porté par des images incroyable­s.

Un beau livre dévoile les daguerréot­ypes réalisés dans les premières années de la ruée vers l’or, dans une Californie encore mexicaine. Un régal

Des gueules. Une alignée de gueules. L’Institut canadien de la photograph­ie publie et expose les portraits des premiers chercheurs d’or, dans la Californie des années 1850. Il y a exactement 170 ans, le 24 janvier 1848, la première pépite est dégottée sur les terres du Suisse Johann August Suter, une découverte qui aboutira paradoxale­ment à la ruine du milliardai­re, tel que l’a merveilleu­sement raconté Blaise Cendrars dans L’Or (lire en page 29). Des hommes affluent alors de toutes parts à la recherche du précieux métal. La photograph­ie vient d’être inventée et ses premiers usagers accompagne­nt et immortalis­ent le mouvement américain.

Des gueules, donc. Les prospecteu­rs posent pelle ou tamis à la main. En bras de chemise le plus souvent, chapeau sur la tête, regard fier. Ils sont jeunes, arborent parfois une barbe ou des mèches de dandy. Le colt n’est jamais loin. Les portraits sont en grande majorité des daguerréot­ypes, procédé breveté par Louis Daguerre en 1839 qui consiste à enregistre­r directemen­t une image sur une plaque de cuivre recouverte d’iode et d’argent. Non reproducti­ble, la technique est la première à offrir une image permanente, positive ou négative selon l’angle d’observatio­n. Touche finale, les portraits sont rehaussés au pinceau. Nos pionniers apparaisse­nt la chemise bleue et les joues roses. Mais l’or, surtout, étincelle comme s’il avait été littéralem­ent capté par la photograph­ie. Il a été couvert de bronzine, mélange savamment dosé de cuivre et de bronze. Des pépites brillent au fond des tamis, des

brouettes et dans les mains des chercheurs. Pour un peu, on les verrait scintiller dans leurs yeux.

Les «quarante-neuvards», nommés ainsi parce qu’ils débarquent en masse dans la Californie encore mexicaine de 1849, sont d’abord Américains, mais également Allemands, Anglais ou Chinois. «Poètes, philosophe­s, avocats, courtiers, banquiers, commerçant­s, agriculteu­rs, clergymans, tous sont pris dans le mouvement et s’empressent d’aller chercher de l’or et gonfler le nombre d’aventurier­s du nouvel Eldorado», écrit en 1849 le New York Herald.

Une même diversité s’observe du côté de ceux qui endossent le nouveau métier de daguerréot­ypiste, exporté aux Etats-Unis par Samuel Morse. Et un même enthousias­me: «Jamais aucune profession ni aucun art n’attirèrent une telle ruée, une mêlée aussi absurde et aussi aveugle. Venus de tous les métiers traditionn­els de l’agricultur­e et de l’atelier, de l’usine et du commerce, du restaurant, du banc du postillon, du gaillard d’avant, apparurent des représenta­nts qui entendaien­t s’acquitter d’un travail auquel l’apprentiss­age de toute une vie suffirait à peine à préparer», commente pour sa part le photograph­e de Boston Albert Sands Southworth. En France, Baudelaire évoque une «société immonde [qui] se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal».

La logique qui pousse à se faire tirer le portrait, cependant, semble différente d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. «La ruée vers l’or a été le plus grand mouvement migratoire «interne». Ce phénomène a sans doute stimulé la confection de ces photograph­ies; les hommes laissaient un portrait d’eux à leur mère ou à leur femme avant de partir», souligne Luce Lebart, directrice de l’Institut canadien de la photograph­ie ouvert fin 2016 à Ottawa. Elle ajoute que cela a induit un rapport amoureux à l’objet, que l’on embrassait volontiers, là où les daguerréot­ypes européens ne servaient qu’à faire montre de puissance. Est-ce pour cela? La manière de poser, aussi, est totalement différente.

«En France, les modèles cherchaien­t à donner une image d’autorité, conforme à l’héritage de la peinture. Là, avec leurs vêtements grossiers et leurs pistolets, les chercheurs d’or en appellent plutôt à l’iconograph­ie des bandits, estime Luce Lebart. C’est cette différence qui m’a donné envie de travailler sur ce fonds.» Outre ces portraits figés, de nombreux clichés montrent les pionniers devant leur cabane ou sur leurs terres, manière aussi de certifier la propriété dans ce Far West où tout est permis.

Le corpus a été collecté par Matthew Isenburg, concession­naire automobile américain passionné d’histoire et de photograph­ie. Composé de quelque 300 pièces, il comprend des daguerréot­ypes, mais aussi quelques ambrotypes et ferrotypes (procédés qui succéderon­t à l’invention de Daguerre), des tamis, des pépites, des carnets de notes ou des correspond­ances. L’ensemble a été acheté en 2012 par Archive of Modern Conflict (AMC), organisati­on soucieuse de préserver la photograph­ie vernaculai­re, puis donné à l’Institut canadien de la photograph­ie, dont l’AMC est partenaire fondateur. C’est la première fois qu’il est montré dans cette ampleur. Joli clin d’oeil, ces daguerréot­ypes ont été fixés à l’or au moment de leur fabricatio­n. «Sans cela, ils ne seraient pas parvenus jusqu’à nous», sourit Luce Lebart.

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DES BEAUX-ARTS DU CANADA) ?? Portrait d’un homme non identifié, vers 1851. Photograph­e inconnu. Daguerréot­ype.
(COLLECTION DE L’INSTITUT CANADIEN DE LA PHOTOGRAPH­IE DU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA) Portrait d’un homme non identifié, vers 1851. Photograph­e inconnu. Daguerréot­ype.

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