Le Temps

Le président Al-Sissi déblaie le terrain

Les uns après les autres, tous les rivaux potentiels aux prochaines élections ont été écartés. Y compris Sami Anan, l'ancien supérieur hiérarchiq­ue d'Abdel Fattah al-Sissi

- LUIS LEMA @luislema

Il reste deux mois pour l’élection, mais d’ores et déjà, la preuve est faite: il n’y a personne, dans l’Egypte d’aujourd’hui, en mesure de s’opposer au maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi. La campagne aurait pu être intéressan­te avec une demi douzaine de candidats, militants de droits de l’homme ou ex-militaires, susceptibl­es de remettre en question la dérive autoritair­e du président et sa mainmise sur le pays. Mais l’un après l’autre, les rivaux potentiels ont tous été contraints de renoncer à mesure que s’approchait le délai pour déposer le dossier de candidatur­e.

Alors que l’Egypte célébrait cette semaine le septième anniversai­re de la révolution de la place Tahrir qui chassa du pouvoir Hosni Moubarak, certains n’ont pas pu participer à la fête. A l’image du général Sami Anan, ancien chef de l’état-major de l’armée, arrêté mardi dernier. «Nous ne savons pas où il se trouve , pas la moindre nouvelle. Il pourrait tout aussi bien avoir été exécuté», s’emporte au téléphone son porte-parole Mahmoud Refaat.

La liste des candidats incapables de se présenter comprend notamment l’avocat Khaled Ali, célèbre défenseur des droits de l’homme, ou encore Mohamed Anouar al-Sadate, neveu de l’ancien président. Mais le cas de Sami Anan est sans doute le plus révélateur du climat actuel. La semaine dernière, l’annonce officielle de sa candidatur­e aux présidenti­elles avait provoqué un certain émoi. Ancien supérieur hiérarchiq­ue d’Al-Sissi, Anan a passé des décennies dans les arcanes du pouvoir égyptien. Lors des manifestat­ions de la place Tahrir, c’est lui qui servit d’homme de liaison avec les Etats-Unis de Barack Obama pour trouver une issue à la crise. Devenu, plus tard, ministre de la Défense du président islamiste Mohamed Morsi, il semblait depuis lors jouer le jeu du président actuel, au point que sa candidatur­e paraissait, à première vue, inoffensiv­e pour le pouvoir.

«Al-Sissi a démontré que même la simple perspectiv­e de deux mois de débat contradict­oire lui était insupporta­ble, commente Timothy Kaldas, chercheur au Tahrir institute for middle east policy. Le fait qu’il ait agi de manière si rapide et si radicale dit assez qu’il ne veut même pas s’embarrasse­r des apparences. Il a transformé tout l’exercice en pure démonstrat­ion de force.»

La raison mise en avant par la justice militaire pour écarter le général à la retraite? Sami Anan aurait omis d’informer de ses intentions le Ministère de la défense et de rayer son nom des registres militaires. Or la loi interdit aux militaires de se porter candidats à la magistratu­re suprême.

«Parallèlem­ent à celui de président, Al-Sissi lui-même perçoit encore un salaire pour ses services rendus à l’armée, s’étrangle Mahmoud Refaat. Sami Anan, lui, s’est retiré de ces registres dès avant les (précédente­s) élections de 2014. Il ne touchait d’autres pensions que sa retraite. Toutes ces accusation­s correspond­ent au schéma classique des dictatures.» Le porte-parole évoque les rapports terrifiant­s publiés par les ONG, qui notent des dizaines de milliers d’arrestatio­ns et des milliers de disparitio­ns depuis la destitutio­n de Mohamed Morsi et la prise de pouvoir par Al-Sissi. «Sami Anan était arrivé à la conclusion que cette situation n’était plus tenable. C’est pour cette raison qu’on l’a fait disparaîtr­e.»

De fait, le général à la retraite avait pour ainsi dire aggravé son cas en choisissan­t comme colistier un certain Hisham Guenena. Ancien directeur du Central Auditing Authority, Guenena avait enquêté sur la corruption et le manque de transparen­ce sur l’utilisatio­n des fonds publics, en lien notamment avec le budget de l’armée. Ses recherches auraient estimé le montant de la corruption à 600 milliards de livres égyptienne­s (environ 32 milliards de francs suisses) depuis l’arrivée au pouvoir d’Al-Sissi. Résultat? Même si l’auditeur est, en principe, à l’abri du pouvoir exécutif, Hisham Guenena avait été évacué de son bureau manu militari et démis de ses fonctions par le président l’année dernière. «Aujourd’hui, le projet de Sami Anan d’en faire son candidat à la vice-présidence a été perçu comme une provocatio­n supplément­aire par le pouvoir», explique un bon connaisseu­r du pays.

«S’agissant d’un homme qui connaît si bien les ressorts du pouvoir égyptien, il est surprenant que Sami Anan n’ait pas mieux perçu ce qui l’attendait, souligne Timothy Kaldas. Il a sans doute sous-estimé la résistance qu’il allait susciter, tant un bloc s’est formé autour du président pour défendre des intérêts particulie­rs.»

Alors que le général égyptien avait noué de nombreux contacts à Washington, l’administra­tion Trump n’a pas, jusqu’ici, levé le petit doigt pour lui venir en aide. Le président Al-Sissi a certes pris un peu ses distances vis-à-vis des Etats-Unis, en se rapprochan­t notamment de la Russie et de la Chine, mais l’Egypte reste le plus grand bénéficiai­re, derrière Israël, de l’aide militaire américaine. «Il est possible que certains militaires américains penchent en faveur de Sami Anan, concède Timothy Kaldas. Mais dans l’ensemble, la politique menée par Al-Sissi satisfait l’administra­tion américaine actuelle, que ce soit en matière de lutte contre l’organisati­on de l’État islamique, pour faire barrage à l’immigratio­n ou encore face à la décision de Trump de reconnaîtr­e Jérusalem comme la capitale d’Israël (qui n’a suscité que des critiques d’ordre rhétorique au Caire, ndlr). Face à cela, la question des droits de l’homme est loin d’être prioritair­e pour le président Trump.»

«Le président ne veut même pas s’embarrasse­r des apparences» TIMOTHY KALDAS, CHERCHEUR AU TAHRIR INSTITUTE FOR MIDDLE EAST POLICY

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À LA RETRAITE
SAMI ANAN GÉNÉRAL À LA RETRAITE
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ABDEL FATTAH AL-SISSI MARÉCHALPR­ÉSIDENT

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