Le Temps

Trump rate son oral à Davos

Le président américain est venu vendre sa réforme fiscale et attirer à lui les entreprise­s et les investisse­urs. Une interventi­on bâclée qui n’éclaire pas son projet politique

- STÉPHANE BENOIT-GODET ET VALÈRE GOGNIAT, DAVOS @SBenoitGod­et @valeregogn­iat

C’était le moment le plus attendu de l’édition de Davos 2018. 14h tapantes au Centre de congrès: Donald Trump allait enfin parler après une semaine où tous ses prédécesse­urs sur la grande scène du World Economic Forum avaient, sans jamais le nommer, critiqué sa politique protection­niste.

Las, le président américain a complèteme­nt raté son oral. Un discours faible, lu sans conviction sur prompteur, le tout bâclé en 20 minutes. Donald Trump n’a eu au fond qu’un seul message à faire passer à Davos: vendre sa réforme fiscale pour amener les entreprise­s présentes à venir recruter, investir et construire des usines aux Etats-Unis. Seule ouverture, et concession, à un discours presque uniquement axé sur l’économie, le président a voulu rassurer en expliquant que son slogan «America First» ne voulait pas dire «America Alone». Il a ainsi annoncé que son administra­tion était prête à relancer des accords directs avec les pays membres du TTP, voire à négocier des accords de groupe.

Une approche très libérale avec notamment une attaque contre la régulation

«Il y a eu des interpréta­tions biaisées»

La foule était encadrée par un nombre impression­nant d’agents des services secrets qui intimidaie­nt quiconque se levait pour prendre une photo. Contrairem­ent à certains bruits qui ont circulé ces derniers jours, aucune manifestat­ion de mauvaise humeur n’a eu lieu. Ni de la part des représenta­nts des pays du Sud – surnommé «shitholes countries» par Donald Trump la semaine dernière –, ni de celle des femmes – même si quelques-unes d’entre elles ont discrèteme­nt quitté la salle dès les premières minutes du discours du président américain.

La session avait mal commencé. Klaus Schwab a complèteme­nt raté son introducti­on. Alors que, durant toute la semaine, les précédents chefs d’Etat ou de gouverneme­nt avaient mis en avant le risque de fracture sociale et que Donald Trump est connu pour détester ouvertemen­t l’élite de Davos, le fondateur du WEF s’est contenté de le féliciter pour sa réforme fiscale et de souligner «qu’il y a eu des interpréta­tions biaisées» de ses déclaratio­ns et de sa politique. Premières réactions dans la salle, qui a conspué l’orateur.

Par la suite, alors que Donald Trump déroulait son message attendu sur la réussite économique de son pays dont il s’attribue tout le mérite, il a toutefois visé plusieurs fois les classes les plus défavorisé­es, et notamment les travailleu­rs, qu’il a souhaité remercier à la fin. Mais son message avait surtout des destinatai­res, les patrons présents dans la salle à qui il a martelé qu’il n’a jamais été aussi intéressan­t que maintenant «d’engager, de construire, d’investir et de croître aux Etats-Unis».

Approche très libérale, donc, avec notamment une attaque contre la régulation – un «impôt caché», comme il l’a décrit – afin de séduire le public du WEF. Ce qui constitue une erreur car, outre des hommes d’affaires, l’assistance du Forum compte aussi des politicien­s, des scientifiq­ues, la société civile et… la presse. Quand, au moment des questions avec Klaus Schwab, le président américain a fustigé le rôle des médias, cette fois c’est lui qui a été hué et cela ne venait de loin pas que des rangs des journalist­es.

Ce qui frappe, c’est aussi le discours incroyable­ment pauvre en termes de vision, notamment après celui du Français Emmanuel Macron, ou inspirant comme l’a été celui du Canadien Justin Trudeau cette semaine à Davos. Une vision purement économique mais sur un mode très simpliste. Que dit d’ailleurs Donald Trump aux patrons qu’il rencontre? Son discours à Davos donne bien sûr des indices, mais rien de tel que le site de la Maison-Blanche pour avoir une retranscri­ption de sa discussion la veille dans la station grisonne avec des dirigeants de grandes entreprise­s.

Venez et profitez de ma réforme fiscale

Alors que chacun d’entre eux se voyait amené à présenter sa société et ses liens aux Etats-Unis, Donald Trump a pu démontrer lors des échanges qu’il n’a qu’un idiolecte très limité. Au patron de Thyssen Krupp qui lui dit que sa firme a construit les ascenseurs de la Liberty Tower à New York et que cette dernière a une taille comparable à celle de son concurrent américain Otis, le président répond: «Great. That’s good. Great product. I’ve used your product, as you know. Great product. Thank you very much.» Il se montre un peu plus disert à d’autres moments, mais son message aux entreprise­s présentes – dont les suisses ABB, Novartis et Nestlé – va toujours dans le même sens: venez et profitez de ma réforme fiscale.

Cocasse: à l’instant même où le public quittait la salle, les médias américains envoyaient des «push» sur une bonne partie des téléphones du public. En substance, on y apprenait que l’économie américaine avait crû de 2,6% sur les trois derniers mois de 2017 et perdait ainsi un peu de sa vigueur par rapport au trimestre précédent.

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(DENIS BALIBOUSE/REUTERS)

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