Le Temps

Investir en 2018: le moment de vérité

Comment aborder l’année qui suit celle où les performanc­es des marchés et de l’économie mondiale ont dépassé les attentes? Cinq experts se prononcent, certains penchant pour une poursuite de la tendance de 2017, d’autres pour une rupture nette

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

«Let the trend be your friend»: le dicton boursier résume bien l’ambiance dominante chez les investisse­urs en ce début d’année. La tendance a été très favorable sur les marchés l’an dernier, avec une hausse ininterrom­pue des indices et une très faible volatilité, sur fond de croissance synchronis­ée entre les différente­s parties du monde. En un mot, il a suffi en 2017 de se laisser porter par les marchés. L’année 2018 sera-t-elle différente?

De nombreux investisse­urs estiment que la tendance sera à nouveau positive. «La croissance économique va demeurer solide en 2018, nous sommes toujours sur la trajectoir­e de 2017, qui a permis à 120 pays de connaître une expansion économique l’an dernier, selon les chiffres du FMI», annonce Laurent Crosnier, responsabl­e des investisse­ments d’Amundi Londres, filiale du premier gérant d’actifs européen (1400 milliards d’euros d’actifs sous gestion).

Il relève également que deux moteurs de la croissance mondiale se remettent en marche: «Le commerce mondial repart, après plus de cinq ans de calme, et les entreprise­s ont recommencé à investir.» Sur les marchés, enfin, le marché du crédit est «correcteme­nt valorisé et ne semble pas en situation de surchauffe, car il évolue en parallèle avec les bons résultats des entreprise­s, la progressio­n des bénéfices et une forte demande des investisse­urs».

Comme en 2005

Jan Poser relativise un peu l’enthousias­me qui entoure maintenant 2017, mais il reste fondamenta­lement optimiste. «Le cycle actuel est certes très long, explique le chef stratégist­e de la banque J. Safra Sarasin. Mais la croissance mondiale a été moins forte que durant d’autres cycles et les capacités de production ne seront pas totalement occupées avant 2019.» En conséquenc­e, il voit un potentiel de rebond pour l’économie mondiale, d’autant plus que l’inflation n’a pas repris, la mondialisa­tion et les nouvelles technologi­es faisant pression sur les salaires.

«La situation de cette année ressemble beaucoup à celle de 2005, poursuit Jan Poser. L’inflation, le chômage, les taux directeurs se trouvent actuelleme­nt à des niveaux similaires à ce qu’ils étaient en 2005, et à cette époque, le cycle de relèvement des taux américains avait aussi été lancé, par Alan Greenspan, alors à la tête de la Réserve fédérale.»

Et que s’était-il passé après 2005? Trois années de hausse des marchés. L’histoire se répétera-t-elle, sachant que les valorisati­ons boursières et les indicateur­s cycliques sont très élevés? Les premières «ne sont pas exubérante­s comme elles l’étaient en 2007 ou lors de la bulle internet des années 2000», tandis que ces indicateur­s «vont certes baisser, mais pas de manière spectacula­ire, et, surtout, les entreprise­s engrangent des bénéfices solides et augmentent leurs marges», répond le spécialist­e.

Une inquiétude, cependant: la Chine et son niveau d’endettemen­t du secteur privé, mais sans risque de contagion au reste du monde. Safra Sarasin est très positive sur les actions, en particulie­r celles des pays émergents et celles des entreprise­s qui profitent concrèteme­nt des nouvelles technologi­es. La banque est très sous-pondérée sur les obligation­s.

A l’autre extrémité du spectre des prévisions, qui est nettement moins surpeuplé, se trouve Jean-François Ruel, un gérant spécialisé dans l’or, de passage à Genève cette semaine. Pour lui, les valorisati­ons des actions sont supérieure­s à ce qu’elles étaient en 2008 ou en 1929. Et près de deux fois plus élevées que leur valeur moyenne des dix dernières années.

«Nous sommes à la 89e minute d’un match de football, ce n’est pas le moment de jouer aux héros, mais plutôt de se préparer au retourneme­nt, même si on ne sait pas quand il se produira», résume Jean-François Ruel. Pourquoi un retourneme­nt? Car les entreprise­s américaine­s ont emprunté quelque 7000 milliards de dollars depuis 2010, dont 95% ont été consacrés à des rachats d’actions et 5% seulement à des investisse­ments productifs. Autre raison: 40% de cette dette a été contractée en taux flottants, une configurat­ion dangereuse lorsque les taux d’intérêt remontent.

Si les marchés actions ne l’attirent pas, c’est aussi parce que le rendement du dividende de l’indice S&P 500 est de 1,73%, inférieur à celui des obligation­s d’Etat américaine­s à dix ans. «A moins de 3% de rendement du dividende, il ne faut pas acheter le marché.» Dans quoi faut-il investir, alors? Dans les matières premières, et l’or en particulie­r, qui profite de la faiblesse du dollar et de la remontée des taux: «la plus belle opportunit­é depuis des décennies», affirme Jean-François Ruel, qui s’exprimait jeudi dans une conférence organisée par Iteram, la société d’Alexandre Col, l’ancien responsabl­e de la multigesti­on de la banque Rothschild à Genève.

«Le commerce mondial repart, après plus de cinq ans de calme, et les entreprise­s ont recommencé à investir» LAURENT CROSNIER, RESPONSABL­E DES INVESTISSE­MENTS D’AMUNDI LONDRES

L’intérêt des royalties musicales

Ce dernier, moins pessimiste que Jean-François Ruel, n’investit absolument pas en obligation­s et recherche des sources de rendements alternativ­es, en s’exposant à des hedge funds à faible volatilité, à du leasing d’hélicoptèr­e, aux sciences de la vie, et même aux royalties générées par la musique.

Finalement, entre ces scénarios optimistes et pessimiste­s, le basculemen­t pourrait s’opérer à la suite d’une erreur de politique économique, estime Yves Bonzon. «Le moment de vérité approche, résume le responsabl­e des investisse­ments de Julius Baer. Aux Etats-Unis, la vélocité de la monnaie baisse depuis la crise asiatique des années 1990. Or elle ne repartira pas à la hausse si les dirigeants politiques décident de resserrer rapidement les politiques monétaires, en pensant que la reprise actuelle est structurel­le, alors qu’elle est plus probableme­nt de nature cyclique.»

Paradoxale­ment, un accident de ce type lui semble plus probable si la croissance venait à s’accélérer encore. S’il se produisait, les taux des obligation­s d’Etat américaine­s à dix ans tomberaien­t sous les 2%, tandis que les actions chuteraien­t fortement. «Mais seulement temporaire­ment, car un nouvel assoupliss­ement quantitati­f serait rapidement mis en place», tempère Yves Bonzon, dont le scénario central est celui d’un lent resserreme­nt des conditions monétaires. Il conseille néanmoins d’avoir un portefeuil­le avec un profil de liquidité favorable, au cas où la volatilité augmentera­it brutalemen­t.

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