Investir en 2018: le moment de vérité
Comment aborder l’année qui suit celle où les performances des marchés et de l’économie mondiale ont dépassé les attentes? Cinq experts se prononcent, certains penchant pour une poursuite de la tendance de 2017, d’autres pour une rupture nette
«Let the trend be your friend»: le dicton boursier résume bien l’ambiance dominante chez les investisseurs en ce début d’année. La tendance a été très favorable sur les marchés l’an dernier, avec une hausse ininterrompue des indices et une très faible volatilité, sur fond de croissance synchronisée entre les différentes parties du monde. En un mot, il a suffi en 2017 de se laisser porter par les marchés. L’année 2018 sera-t-elle différente?
De nombreux investisseurs estiment que la tendance sera à nouveau positive. «La croissance économique va demeurer solide en 2018, nous sommes toujours sur la trajectoire de 2017, qui a permis à 120 pays de connaître une expansion économique l’an dernier, selon les chiffres du FMI», annonce Laurent Crosnier, responsable des investissements d’Amundi Londres, filiale du premier gérant d’actifs européen (1400 milliards d’euros d’actifs sous gestion).
Il relève également que deux moteurs de la croissance mondiale se remettent en marche: «Le commerce mondial repart, après plus de cinq ans de calme, et les entreprises ont recommencé à investir.» Sur les marchés, enfin, le marché du crédit est «correctement valorisé et ne semble pas en situation de surchauffe, car il évolue en parallèle avec les bons résultats des entreprises, la progression des bénéfices et une forte demande des investisseurs».
Comme en 2005
Jan Poser relativise un peu l’enthousiasme qui entoure maintenant 2017, mais il reste fondamentalement optimiste. «Le cycle actuel est certes très long, explique le chef stratégiste de la banque J. Safra Sarasin. Mais la croissance mondiale a été moins forte que durant d’autres cycles et les capacités de production ne seront pas totalement occupées avant 2019.» En conséquence, il voit un potentiel de rebond pour l’économie mondiale, d’autant plus que l’inflation n’a pas repris, la mondialisation et les nouvelles technologies faisant pression sur les salaires.
«La situation de cette année ressemble beaucoup à celle de 2005, poursuit Jan Poser. L’inflation, le chômage, les taux directeurs se trouvent actuellement à des niveaux similaires à ce qu’ils étaient en 2005, et à cette époque, le cycle de relèvement des taux américains avait aussi été lancé, par Alan Greenspan, alors à la tête de la Réserve fédérale.»
Et que s’était-il passé après 2005? Trois années de hausse des marchés. L’histoire se répétera-t-elle, sachant que les valorisations boursières et les indicateurs cycliques sont très élevés? Les premières «ne sont pas exubérantes comme elles l’étaient en 2007 ou lors de la bulle internet des années 2000», tandis que ces indicateurs «vont certes baisser, mais pas de manière spectaculaire, et, surtout, les entreprises engrangent des bénéfices solides et augmentent leurs marges», répond le spécialiste.
Une inquiétude, cependant: la Chine et son niveau d’endettement du secteur privé, mais sans risque de contagion au reste du monde. Safra Sarasin est très positive sur les actions, en particulier celles des pays émergents et celles des entreprises qui profitent concrètement des nouvelles technologies. La banque est très sous-pondérée sur les obligations.
A l’autre extrémité du spectre des prévisions, qui est nettement moins surpeuplé, se trouve Jean-François Ruel, un gérant spécialisé dans l’or, de passage à Genève cette semaine. Pour lui, les valorisations des actions sont supérieures à ce qu’elles étaient en 2008 ou en 1929. Et près de deux fois plus élevées que leur valeur moyenne des dix dernières années.
«Nous sommes à la 89e minute d’un match de football, ce n’est pas le moment de jouer aux héros, mais plutôt de se préparer au retournement, même si on ne sait pas quand il se produira», résume Jean-François Ruel. Pourquoi un retournement? Car les entreprises américaines ont emprunté quelque 7000 milliards de dollars depuis 2010, dont 95% ont été consacrés à des rachats d’actions et 5% seulement à des investissements productifs. Autre raison: 40% de cette dette a été contractée en taux flottants, une configuration dangereuse lorsque les taux d’intérêt remontent.
Si les marchés actions ne l’attirent pas, c’est aussi parce que le rendement du dividende de l’indice S&P 500 est de 1,73%, inférieur à celui des obligations d’Etat américaines à dix ans. «A moins de 3% de rendement du dividende, il ne faut pas acheter le marché.» Dans quoi faut-il investir, alors? Dans les matières premières, et l’or en particulier, qui profite de la faiblesse du dollar et de la remontée des taux: «la plus belle opportunité depuis des décennies», affirme Jean-François Ruel, qui s’exprimait jeudi dans une conférence organisée par Iteram, la société d’Alexandre Col, l’ancien responsable de la multigestion de la banque Rothschild à Genève.
«Le commerce mondial repart, après plus de cinq ans de calme, et les entreprises ont recommencé à investir» LAURENT CROSNIER, RESPONSABLE DES INVESTISSEMENTS D’AMUNDI LONDRES
L’intérêt des royalties musicales
Ce dernier, moins pessimiste que Jean-François Ruel, n’investit absolument pas en obligations et recherche des sources de rendements alternatives, en s’exposant à des hedge funds à faible volatilité, à du leasing d’hélicoptère, aux sciences de la vie, et même aux royalties générées par la musique.
Finalement, entre ces scénarios optimistes et pessimistes, le basculement pourrait s’opérer à la suite d’une erreur de politique économique, estime Yves Bonzon. «Le moment de vérité approche, résume le responsable des investissements de Julius Baer. Aux Etats-Unis, la vélocité de la monnaie baisse depuis la crise asiatique des années 1990. Or elle ne repartira pas à la hausse si les dirigeants politiques décident de resserrer rapidement les politiques monétaires, en pensant que la reprise actuelle est structurelle, alors qu’elle est plus probablement de nature cyclique.»
Paradoxalement, un accident de ce type lui semble plus probable si la croissance venait à s’accélérer encore. S’il se produisait, les taux des obligations d’Etat américaines à dix ans tomberaient sous les 2%, tandis que les actions chuteraient fortement. «Mais seulement temporairement, car un nouvel assouplissement quantitatif serait rapidement mis en place», tempère Yves Bonzon, dont le scénario central est celui d’un lent resserrement des conditions monétaires. Il conseille néanmoins d’avoir un portefeuille avec un profil de liquidité favorable, au cas où la volatilité augmenterait brutalement.