Le Temps

Federer, la possibilit­é d’une île

Vainqueur sur abandon du Sud-Coréen Chung Hyeon (6-1 5-2, 30-30), Roger Federer retrouvera dimanche en finale le Croate Marin Cilic, qu’il a affronté l’an dernier en finale à Wimbledon… et durant ses vacances aux Maldives

- LAURENT FAVRE, MELBOURNE @LaurentFav­re

C’est l’histoire, courte, d’une demi-finale qui n’a pas existé. Une fête nationale (c’était Australia Day) où le feu d’artifice devient un pétard mouillé. Une heure à peine d’un jeu de dupes, où le Sud-Coréen Chung Hyeon a tenté de masquer le fait qu’il souffrait d’ampoules à vif sous la voûte plantaire, avant de brutalemen­t renoncer. Mais Roger Federer savait. Depuis le début.

Pensait-il à cela, mercredi soir, lorsqu’il avoua un peu inquiet qu’il ne connaissai­t pas son futur adversaire, qu’il ne l’avait jamais rencontré au cours de ses 1387 matches, dont 43 demi-finales de Grand Chelem, et qu’il allait donc devoir «se renseigner»? Quand on est sur le circuit depuis vingt ans, on a ses réseaux. Le lendemain, il était fixé: Chung n’a pas de deuxième balle de service et est blessé. «J’ai vu son pied dans le vestiaire et on m’en avait déjà parlé. Mais il avait déjà mal contre Novak Djokovic et il avait quand même fait un match superbe. Alors…»

Promenade de 12 jours

Alors, en vieux renard, Federer a gagné le toss et laissé Chung servir en premier. Le pied, plus la pression d’une demi-finale, plus Federer en face égalent break d’entrée. Puis un deuxième à 3-1 et un troisième pour conclure 6-1 le premier set. A 4-1 dans le deuxième, Hyeong Chang appelle le soigneur. Deux jeux plus tard, il abandonne. Jeu, set et non-match.

Déçu, profondéme­nt frustré, le jeune Sud-Coréen est parti aussi vite qu’il était arrivé. Pour meubler, Roger Federer s’est efforcé de faire rire le public au micro de Jim Courier. Dans cet Open d’Australie où il s’est promené durant douze jours (aucune manche perdue), l’interview systématiq­ue sur le court était pratiqueme­nt son quatrième set. Vendredi soir, il révéla une anecdote assez incroyable qu’il devait ensuite développer en conférence de presse.

Roger Federer a raconté son match, ce non-match plutôt, aux télés, aux radios, à la presse écrite, en anglais, en français, en allemand, en suisse-allemand. Une routine. Ce sera dimanche sa trentième finale en Grand Chelem. Il en a déjà remporté dix-neuf. Une vingtième serait encore plus historique que les précédente­s parce que même ceux qui n’ont pas la mémoire des nombres sauraient s’en souvenir.

Il n’était pas tard à Melbourne, 21h15 à peine, et déjà plus personne ne lui parlait de Chung et de la demi-finale. Seule compte désormais la finale dimanche (9h30 en Suisse) contre Marin Cilic. Le Croate est un adversaire redoutable, pour peu que lui aussi ne cache pas une blessure. Ça, on ne le découvre généraleme­nt qu’après, à moins de s’appeler Federer. C’était le cas en juillet 2017 lors de la finale de Wimbledon perdue par Cilic, déjà contre Roger Federer. Ampoule au pied, là encore. On sait que le Suisse a toujours 9 raquettes avec lui, mais aussi 8 paires de chaussette­s, qu’il enfile à double.

Rencontre aux Maldives

Federer avait sans doute mis moins de chaussette­s dans sa valise fin novembre pour partir en vacances aux Maldives. Il venait de battre à nouveau Marin Cilic, aux Masters de Londres, dans un match de poule sans enjeu (Federer était déjà qualifié, Cilic déjà éliminé) mais que le Croate joua avec un grand sérieux, au point de lui ravir un set.

«J’avais aimé son attitude», se souvient le Bâlois, qui raconte la suite: «J’étais donc aux Maldives, et la réception de l’hôtel me dit: «Ah, nous attendons un autre joueur de tennis.» C’était Marin Cilic. Quand il est arrivé, je n’ai pas voulu l’embêter, il n’a pas voulu m’embêter. Après deux jours, il m’a écrit un mot pour me dire qu’il était disponible si je voulais qu’on se voie. Je lui ai répondu: «Sûr, dis-moi si tu veux taper [des balles]. On est allé s’entraîner deux fois 45 minutes. Juste pour ne pas trop perdre le rythme. C’était cool.»

Il faut essayer de visualiser la tête des types qui ont réservé un court à côté des deux futurs finalistes de l’Open d’Australie embarqués dans un remake de la dernière scène de Rocky II. «Pas de coach, pas d’arbitre, pas de public. Juste nous deux sur un court anonyme à taper des balles. C’était très sympa et décontract­é, ça m’a permis de mieux découvrir l’homme derrière le joueur. On n’est pas resté collé l’un à l’autre mais on s’est vu plusieurs fois, il a mangé un gâteau avec toute ma famille, il nous a présenté sa fiancée.»

De l’Angleterre à l’Angleterre, des Maldives à l’Australie, d’un court de vacances à la Rod Laver Arena, Roger Federer entrevoit ce samedi la possibilit­é d’une île au trésor. S’il gagne son vingtième titre majeur dimanche, il y serait seul au monde. Seul dans son monde.

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Roger Federer en conférence de presse à Melbourne, après sa victoire contre le Sud-Coréen Chung Hyeon en demi-finale. (DEAN LEWINS/EPA/KEYSTONE)

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