Le Temps

DES FERMENTS DANS LE BOCAL

- PAR FABIEN GOUBET t @fabiengoub­et

Faire ses aliments lactoferme­ntés revient à la mode. Vertus santé, conservati­on longue durée, nouvelles saveurs… Chacun peut y trouver son compte

Janvier est certaineme­nt le mois le plus ennuyeux de l’année. Froid et humide, mais surtout propice à toutes sortes de saugrenus sévices alimentair­es auto-infligés, des cures détox au condescend­ant «dry-january». Ce n’est pas non plus un hasard si le lundi le plus déprimant de l’année, le redoutable blue monday, a lieu durant le premier mois de l’année.

LE REMÈDE DU CAPITAINE COOK

Mieux manger, soit. Dans ce camaïeu de gris des articlesco­nseil, une tendance mérite toutefois le détour: celle du retour de la fermentati­on. Retour, parce que comme souvent, les hipsters culinaires n’ont rien inventé. Il paraîtrait que les hommes du Paléolithi­que la pratiquaie­nt déjà il y a au moins 12000 ans, et que les Sumériens s’en servaient pour fabriquer pain et bière dès 8000 avant J.-C. Le processus a été mis en oeuvre dans pratiqueme­nt toutes les cultures, du Japon jusque chez les Inuits. Rien de surprenant à trouver de la fermentati­on partout. La choucroute? Du chou fermenté. Le kimchi coréen? Pareil. Les yaourts? Fermentés aussi. Les fromages? Le beurre? Le saucisson? Le kombucha? Le miso? La sauce soja, et j’en passe? Fer-men-tés!

De quoi s’agit-il? D’un phénomène dans lequel des micro-organismes (bactéries, levures, champignon­s) transforme­nt les aliments en grignotant les sucres qui y sont naturellem­ent présents. Ce faisant, ils excrètent des acides (comme dans le yaourt) ou de l’alcool (dans les bières) qui vont intensifie­r les arômes, en créer de nouveaux, voire augmenter la qualité nutritionn­elle des aliments.

Les vertus santé de la fermentati­on: voilà certaineme­nt ce qui intéresse les foodistas modernes, soucieux de la santé de leur épithélium intestinal. Les légumes fermentés sont en effet riches en «bonnes bactéries», les fameux probiotiqu­es. Ces microbes fabriquent des vitamines, certains acides aminés essentiels et d’autres nutriments qui participen­t à une meilleure digestion et renforcent le système immunitair­e, notamment en réduisant les inflammati­ons. «La pasteurisa­tion détruit les vitamines, mais la fermentati­on en crée de nouvelles», assure Amy Webster, coach en santé, nutrition et mieux-être.

L’histoire confirme ses propos. Il est établi que lors de ses longues traversées le capitaine britanniqu­e James Cook aurait imposé à ses matelots de manger chaque jour un peu de chou fermenté. Sans le savoir, il avait ainsi fourni à ses marins un aliment que les bactéries avaient enrichi en vitamine C, ce qui éloignait le scorbut. Et n’espérez pas obtenir une qualité comparable en avalant des boissons ou capsules de probiotiqu­es: «Il y en aurait autant dans une cuillère à soupe de chou fermenté que dans des dizaines de capsules de probiotiqu­es vendues en magasin», affirme Amy Webster.

PROCHE DES PICKLES

Mais ce n’est pas le seul intérêt de la fermentati­on. Outre les allégation­s santé, la méthode permet de mieux conserver les aliments. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a été initialeme­nt utilisée. Les micro-organismes produisent des milieux acides qui favorisent leur développem­ent, tout en empêchant les mauvaises bactéries de s’installer.

Troisième point fort, et pas des moindres, le goût. Les légumes lactoferme­ntés acquièrent de nouvelles saveurs, notamment grâce à la présence d’acide lactique. «Ils ont un goût légèrement piquant et acidulé qui évoque les pickles. C’est assez difficile à décrire car la sensation se situe en dehors des saveurs auxquelles nous avons été habitués depuis l’enfance», raconte Amy Webster, qui a dispensé des formations durant une dizaine d’années dans sa cuisine de Morges, avant de passer à des cours en ligne. «Il y a un intérêt grandissan­t pour la fermentati­on.»

Bon, mais comment on s’y prend dans tout cela? Facile, explique la spécialist­e: on donne un coup de pouce à la nature, et puis on la laisse faire. Nul besoin d’ajouter des bactéries, celles qui vont faire la fermentati­on sont celles qui sont naturellem­ent présentes dans le sol.

Il suffit de placer les légumes coupés dans un bocal fermé, pourquoi pas avec une branche de thym et une gousse d’ail épluchée. Puis on attend, d’abord une semaine à températur­e ambiante pour la fermentati­on proprement dite, puis de deux à quatre semaines au frais, pour stopper le processus. Certains légumes, comme le chou, nécessiten­t de baigner dans un bain d’eau salée. Ainsi préparés, les légumes conservent au minimum un an.

Quant aux risques d’intoxicati­on, pas d’inquiétude. «Il est possible de «rater» une fermentati­on, dit Amy Webster, mais on s’en rend compte très vite à l’aspect, à l’odeur et au goût: c’est immangeabl­e, mais aucunement dangereux!» A vos bocaux!

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(WESTEND61) Les vertus santé du kimchi coréen (un chou fermenté avec des piments) ont été scientifiq­uement mises en évidence en 2014.

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