UN OURSON AU COEUR DE LA SHOAH
Au moment où, avec Aharon Appelfeld, s’est tu l’un des derniers témoins du génocide perpétré par les nazis, la nécessité de parler de cette page sombre de l’histoire, même aux enfants, apparaît avec plus de force encore. L’ouvrage d’Iris Argaman permet de l’aborder avec tact et humanité ◗Rappelons en préambule que c’est à passé 80 ans et après plus de quarante livres pour les adultes qu’Aharon Appelfeld avait publié, en 2014, son premier roman pour les enfants, Adam et Thomas (LT du 03.05.2014), et plus récemment le second et dernier, De longues nuits d’été (LT du 13.05.2017). Nous ne reviendrons pas ici sur ces deux beaux récits parus à L’Ecole des loisirs, et largement inspirés par l’enfance de leur auteur. Si nous citons aujourd’hui l’écrivain disparu il y a peu, c’est pour mettre en lumière un autre ouvrage, lui aussi remarquable, qui évoque la sombre époque dont a été le témoin Aharon Appelfeld.
Dans un entretien pour L’Ecole des lettres, publié en ligne le 17 mars 2014, dans lequel il répond aux questions de sa traductrice Valérie Zenatti, Appelfeld affirmait: «La littérature pour enfants, il me semble, doit contenir deux dimensions. L’une distrayante, récréative, l’autre pleine de sens. Je crois que les livres peuvent fournir des outils pour nous accompagner dans nos vies.»
HISTOIRE VRAIE
Ces deux dimensions, effectivement essentielles, sont bien présentes dans L’Ourson de Fred, ouvrage grave mais pas désespéré, ouvrage «plein de sens» et d’humanité, que publient les Editions Chandeigne. L’histoire est simple, et elle est vraie. Elle est née de la rencontre entre une auteure israélienne, Iris Argaman, et un ours en peluche, exposé à Yad Vashem, au mémorial de la Shoah. Cet ours est celui d’un enfant juif, son compagnon de chaque jour et son confident dès lors que la guerre menace la Hollande: ensemble, ils quittent l’appartement de Delft où la famille vivait heureuse; ensemble, ils se cachent, se retrouvent seuls; ensemble, ils partent à la campagne, attendent la fin du conflit, les heureuses retrouvailles.
Le jouet-narrateur se fait le dépositaire des soucis du jeune garçon, de ses interrogations, de ses incompréhensions. Il est le point fixe dans les mille bouleversements de la vie de Fred. Jusqu’à ce que celui-ci, devenu adulte, le confie au musée de Jérusalem afin qu’à sa façon il perpétue le souvenir de ces temps tragiques.
D’une finesse et d’une expressivité parfaites, les dessins d’Avi Ofer jouent avec l’extrême parcimonie des couleurs – dont ce gris qui «habille» uniformément les personnages. L’illustratrice parvient ainsi à créer des images silencieuses qui accompagnent pas à pas, attentivement, légèrement, la solitude du jeune garçon.