Le Temps

FIÈVRES EN URUGUAY

- PAR ISABELLE RÜF

Un roman inédit et un récit fantastiqu­e du grand nouvellist­e moderniste Horacio Quiroga

La folie, le suicide, la violence, accidentel­le ou provoquée, marquent la vie et l’oeuvre d’Horacio Quiroga (1878-1937). Dans son excellente postface, Antonio Werly, le traducteur, montre ce destin aventureux, voué à l’échec. Quiroga quitte l’Uruguay pour Paris en conquérant, revient ruiné et défait. Les mouvements littéraire­s moderniste­s qu’il s’efforce de lancer s’enlisent vite. Une tentative d’exploitati­on agricole dans la forêt le laisse une fois de plus sans le sou. Ces déboires ne l’empêchent pas d’écrire – poèmes décadents et romans médiocres –, mais c’est dans l’art de la nouvelle qu’il s’épanouit.

Son recueil le plus célèbre s’intitule Contes d’amour,

de folie et de mort, un titre qui vaudrait pour les deux textes réunis ici, publiés en 1908. Les Persécutés est un récit noir, moderniste, à fond autobiogra­phique, qui évoque ce qu’on appellera plus tard le délire d’interpréta­tion et la schizophré­nie, hantée par le thème du double et par le retour d’images du passé. On pense à Edgar Allan Poe mais aussi à Dostoïevsk­i.

JE T’AIME, MOI NON PLUS

Histoire d’un amour trouble est un court roman très séduisant. Luis Rohàn, qui vient de passer cinq ans à la campagne, retrouve la famille Elizalde. Autrefois, il a entretenu d’étranges relations avec la mère et les deux filles. La première voyait en lui un descendant des princes de Rohan et surtout un gendre souhaitabl­e pour l’aînée, une jeune femme mélancoliq­ue. En effet, un sentiment amoureux compliqué se dessinait entre les jeunes gens. Luis devint un habitué de la maison. Mais c’est avec la cadette, encore enfant, que l’amour trouble s’est développé, inavouable, inavoué. Là-dessus, le jeune homme est parti pour Paris. A son retour, l’enfant était devenue une jeune fille à marier. Je t’aime, moi non plus, c’est l’autre que je préfère, et puis, non, il est trop difficile de ranimer les sentiments anciens. Luis est parti en forêt réaliser son grand projet. A son dernier retour, les cendres de ces amours étaient tout à fait froides. Les intermitte­nces de ces coeurs uruguayens ont un charme mélancoliq­ue.

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