Le Temps

«No Billag» light sape les fondements de la démocratie

- FRANÇOIS CHERIX ESSAYISTE

Parce qu’elle interroge la Suisse sur des choix existentie­ls, l’initiative «No Billag» tourmente les esprits. Parmi les questions controvers­ées, celle d’un éventuel plan B sauvant la SSR en cas d’acceptatio­n est fondamenta­le. Dans son analyse du 29 janvier publiée dans Le Temps, Marc Comina plaide pour une interpréta­tion douce de l’initiative, qui la réduit à une simple incitation aux réformes de la SSR ne menaçant en rien son existence. Pour ce faire, il introduit la notion d’«applicatio­n light», qu’il déduit du traitement réservé par le parlement à l’initiative «Contre l’immigratio­n de masse», acceptée en 2014.

Hélas, pour qu’une telle stratégie puisse être adoptée, il convient que le texte soumis au scrutin contienne des ambiguïtés ou des zones d’ombre, qui permettent différente­s interpréta­tions et donnent au parlement des marges de manoeuvre. Autrement dit, la loi ne peut contredire frontaleme­nt une dispositio­n claire de la Constituti­on, la hiérarchie des normes devant être respectée.

Or, parfaiteme­nt explicite, le texte de «No Billag» n’offre aucune échappatoi­re. Non seulement il interdit le prélèvemen­t d’une redevance radio-télévision, mais aussi tout subvention­nement par la Confédérat­ion. Les seules exceptions tolérées sont la diffusion de communiqué­s de presse urgents contre paiement ou l’exploitati­on d’une chaîne en temps de guerre. Il s’agit donc bien d’une liquidatio­n de la SSR, que même la plus haute créativité du parlement ne saurait empêcher.

En fait, la question du plan B est celle du sens de la démocratie directe. Par nature, le droit d’initiative pose un vrai dilemme. Soit un scrutin constitue un simple sondage d’opinion, autorisant à peu près n’importe quelle mise en oeuvre. Et, dans cette hypothèse, le pouvoir réel du peuple s’efface, tandis que les initiative­s deviennent de sympathiqu­es prises de températur­e, compatible­s avec tous les plans B imaginable­s et capables de digérer même les propositio­ns les plus extrêmes. Soit chaque votation est considérée comme une décision ayant force de loi, où les dispositio­ns inscrites dans la Constituti­on doivent être respectées autant que faire se peut. Et, dans cette lecture sérieuse de la démocratie directe, le contenu des initiative­s ne saurait être traité à la légère, le peuple exerçant par ses choix une action forte sur le destin de la Suisse.

En niant la portée de leur propre texte, les partisans de «No Billag» jouent un jeu dangereux. Que vaut une démarche incitant les citoyens à dire oui, tout en les assurant que leur vote ne sera pas vraiment suivi d’effets? Que deviendra la démocratie si l’initiative devait être acceptée par un peuple persuadé qu’elle ne dépassera pas la stimulatio­n d’indispensa­bles réformes? Premier scénario, la Constituti­on est respectée et le financemen­t public des chaînes disparaît. La chute automatiqu­e de la SSR trahira tous ceux qui ne souhaitaie­nt pas sa mort. Furieux, les Suisses se sentiront floués en voyant leurs émissions s’interrompr­e. Second scénario, la Confédérat­ion continue de subvention­ner la SSR pour éviter son démantèlem­ent. L’article adopté et la majorité des votants subiront alors une violation crasse. La Constituti­on aura été abaissée au rang de papier programmat­ique sans importance.

Quelle que soit l’option choisie, toute mise en oeuvre de l’initiative s’effectuera donc au détriment du droit d’initiative. Soudain, il perdra son statut de mythe et laissera voir son vrai visage. Celui d’un masque de carnaval qui fait peur s’il représente la réalité, mais dont le succès grandit quand il n’est pas pris au sérieux. En clair, même si les partisans de «No Billag» ne parviendro­nt probableme­nt pas à précipiter la SSR sous la lame de la guillotine, par le tranchant de leur texte et surtout le refus de l’assumer, ils ont déjà conduit la crédibilit­é de la démocratie directe au pied de l’échafaud.

Il s’agit bien d’une liquidatio­n de la SSR, que même la plus haute créativité du parlement ne saurait empêcher

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