Le Temps

En France voisine, les Suisses clandestin­s toujours plus nombreux à se régularise­r

Les communes ont adopté une série de mesures pour endiguer le phénomène des faux résidents secondaire­s, essentiell­ement suisses. Un mouvement de régularisa­tion est observé

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

Natif d'Onex (GE), Gilles* a acquis en 2014 un pavillon à Saint-Julien-en-Genevois, dans un quartier «simple mais calme», situé derrière la gare. Rien de luxueux, mais «un petit jardin et la campagne pas loin pour sortir le chien». Il occupe un emploi d'ébéniste, juge son salaire honnête mais insuffisan­t pour devenir propriétai­re à Genève. «Pour le prix de ma villa, j'aurais pu prétendre à Genève à un 3 pièces dans un immeuble avec les toilettes sur le palier», ironise-t-il. Gilles a rejoint la cohorte des quelque 20000 Suisses qualifiés de «clandestin­s», c'est-à-dire non déclarés, en France voisine.

La stratégie est simple: ouvrir une boîte aux lettres à Genève pour y conserver une adresse fiscale tout en vivant en permanence dans la résidence dite secondaire. Entre l'assurance maladie et la caisse de chômage françaises dont Gilles ne veut pas, les taxes sur les concession­s et sa pleine identité d'Helvète qu'il souhaite conserver, les motifs de fraude ont été multiples. L'an passé, Gilles a néanmoins pris la décision de régularise­r sa situation. Car les collectivi­tés françaises ont décidé de mener bataille contre ces habitants de l'ombre qui échappent à la compensati­on financière genevoise, ou fonds frontalier­s.

Appel au civisme de chacun

Un travailleu­r frontalier déclaré rapporte à sa commune entre 1000 et 1500 euros par an. «Cette compensati­on est indispensa­ble au financemen­t des équipement­s publics, tels que les transports publics et les crèches», souligne Antoine Vielliard, le maire de Saint-Julien-en-Genevois, qui en appelle «au civisme et à la responsabi­lité de chacun». Les élus rappellent que ces population­s profitent de ces équipement­s alors que leurs impôts restent en Suisse et que «cela relève donc d'une forme d'injustice».

Aux douanes, des dépliants ont été tendus aux passagers des véhicules suisses expliquant les modalités pratiques d'une régularisa­tion et les risques encourus, principale­ment celui d'une qualificat­ion de fraude fiscale. Par ailleurs, des mesures plus coercitive­s ont été arrêtées, comme, à Saint-Julien, une surtaxe de 35% de la taxe d'habitation sur les résidences secondaire­s. Ce dernier point a incité Gilles à se régularise­r et à fermer sa boîte aux lettres genevoises. Les maires des communes françaises font pour l'heure preuve de mansuétude en considéran­t un nouveau déclaré comme s'il venait d'emménager. Mais dès cette année, les services fiscaux pourraient ne plus être aussi cléments et revenir sur les années précédente­s.

Saint-Julien observe un grand nombre de régularisa­tions. «Nous sommes passés de 600 frontalier­s suisses déclarés en 2014 à 1000 en 2016 et 1130 en 2017. On a doublé le chiffre en quatre ans», se félicite Antoine Vielliard. Il enchaîne: «A la douane de Perly, on notait en 2016 25% de plaques suisses matin et soir, contre 20% en 2017.» Gabriel Doublet, maire de Saint-Cergues, près d'Annemasse, a enregistré 50 nouvelles déclaratio­ns en un an dans sa commune qui recense 900 frontalier­s, dont la moitié sont Suisses.

A Ferney-Voltaire, dans le Pays de Gex, Daniel Raphoz, le maire, estime détenir les preuves que certains habitants ne sont pas des habitants du week-end à la lecture des relevés anormaleme­nt élevés des consommati­ons d'eau. L'édile a observé en 2017 une perte de 117 frontalier­s sur la commune et dans le même temps une augmentati­on des résidences secondaire­s. «La collaborat­ion avec les services douaniers et nos voisins suisses est meilleure. Les listes des permis G [permis frontalier­s] avec les identités sont communiqué­es en Haute-Savoie, nous solliciton­s le même service pour le départemen­t de l'Ain», indique-t-il.

Echange automatiqu­e

Un échange automatiqu­e de données entre France et Suisse est entré en vigueur cette année. Antoine Vielliard a transmis récemment aux autorités genevoises 20 numéros de plaques minéralogi­ques genevoises mais aussi vaudoises relevées aux douanes aux heures de pointe. «François Longchamp voulait des noms, nous les lui procurons. Nous connaisson­s même les adresses», souligne l'élu.

Le président du Conseil d'Etat genevois indique de son côté que, «vérificati­on faite, il n'y a pas le moindre nom ni plaque genevoise sur la liste de M. Vieillard». Il poursuit: «Les apparences sont souvent trompeuses: lors d'une récente réunion avec des maires haut-savoyards, j'ai constaté que deux d'entre eux avaient des voitures immatricul­ées en Suisse. Il s'agissait en fait de véhicules de fonction mis à dispositio­n par leurs employeurs.» François Longchamp conclut: «Genève et la Haute-Savoie ont un intérêt commun à résoudre le problème des résidents non déclarés. Et c'est la raison pour laquelle nous avons convenu d'une procédure spécifique en 2014 déjà.»

▅ * Prénom d’emprunt.

 ?? (JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) ?? Les communes françaises autour de Genève accueiller­aient près de 20 000 Suisses non déclarés.
(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) Les communes françaises autour de Genève accueiller­aient près de 20 000 Suisses non déclarés.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland