Le Temps

Vexé par Vevey, Nestlé réplique

- LUC DEBRAINE @LucDebrain­e

La multinatio­nale sabre dans son soutien à la culture. Le géant alimentair­e est fâché par le moratoire de la commune sur sa politique de constructi­on

Tout semblait réuni pour offrir à Vevey un grand espace d’exposition pour la photograph­ie: la municipali­té, le canton de Vaud, Images Vevey et Nestlé s’étaient accordés pour un projet de 800 m2 installé dans un bâtiment historique, la Ferblanter­ie, mis à dispositio­n par la multinatio­nale. Alors que les plans étaient déposés et que les travaux devaient commencer, Nestlé a toutefois signifié son retrait. Dans un même élan, le géant alimentair­e a coupé dans ses subvention­s accordées au Musée Jenisch.

A Vevey, personne n’en fait mystère: Nestlé est fâché par le moratoire décidé par la commune sur sa politique de constructi­on. La multinatio­nale comptait créer 8000 m2 de surface habitable, une initiative qui a été retoquée par l’autorité communale, laquelle veut se concentrer sur son nouveau plan d’urbanisme. Un blocage que la multinatio­nale fait payer au prix fort à la culture.

Nestlé rétorque qu’il continue de s’engager pour la vie culturelle de Vevey, comme le prouve par exemple son soutien à la prochaine Fête des Vignerons, et que «ces décisions ont été prises dans le seul but de garantir une allocation prudente de nos ressources», explique son porte-parole.

L’affaire tombe au plus mal pour la Ville, paralysée par les querelles intestines de sa municipali­té, qui ne sont pas sans conséquenc­es sur sa politique culturelle. Le nouveau municipal chargé de la Culture, Michel Agnant, demande du temps pour réorganise­r son départemen­t. Nestlé laisse une porte ouverte en ne parlant pas de mesures définitive­s.

«Ces décisions ont été prises dans le seul but de garantir une allocation prudente de nos ressources»

LE PORTE-PAROLE DE NESTLÉ

POLITIQUE CULTURELLE La multinatio­nale enterre le projet d’un grand espace d’art qu’elle s’apprêtait à mettre à la dispositio­n du Festival Images. Elle sabre aussi dans ses subvention­s au Musée Jenisch. En cause, une querelle avec la Ville de Vevey au sujet de projets immobilier­s

Ce devait être un bel espace de photograph­ie contempora­ine, une Kunsthalle comme en manque tant la Suisse romande; 800 m² d’exposition dans un bâtiment historique, à quelques pas de la gare de Vevey. Depuis plus d’un an, Nestlé et Images Vevey travaillai­ent de concert au projet. L’issue ne laissait pas de place au doute. Or en janvier, alors que les plans étaient déposés à la commune et les travaux commencés, la multinatio­nale a soudain enterré le projet.

La décision abrupte est catastroph­ique pour Images Vevey, entité qui groupe un festival biennal, un concours internatio­nal et un espace permanent, tous consacrés à la photograph­ie. A cause d’un bail bientôt résilié, Images Vevey doit au printemps prochain quitter ses locaux – dont une galerie – installés dans la gare. Son équipe dirigeante comptait bientôt disposer de la Ferblanter­ie, l’ancienne fabrique d’emballages de la fabrique lactée, qui a assuré l’essor mondial de l’entreprise veveysanne.

Le lieu aurait pu recevoir les bureaux d’Images Vevey et déployer des exposition­s sur deux niveaux, le plaçant ainsi sur la carte des importants centres d’art en Suisse. Des contacts avaient été pris avec des partenaire­s institutio­nnels, nationaux et internatio­naux. Stefano Stoll, directeur d’Images Vevey, avait sollicité des mécènes pour pouvoir assurer les frais d’aménagemen­t et d’exploitati­on, outre l’aide que la Ville de Vevey était prête à accorder malgré des finances exsangues. En signant récemment une convention de soutien à Images Vevey, le canton de Vaud se réjouissai­t de cette possibilit­é ambitieuse de développem­ent. D’autres autorités publiques ou économique­s de la région partageaie­nt l’enthousias­me général.

Sur place, personne n’en fait mystère. Le géant de l’alimentair­e est fâché du moratoire décidé par la commune sur sa politique de constructi­on. En attendant de nouvelles règles urbanistiq­ues, impossible de déposer de nouvelles demandes de permis de construire. Nestlé, basé à Vevey depuis sa création au XIXe siècle, est un important acteur immobilier dans la commune, comme le souligne au Temps son porte-parole: «D’ici à 2020, Nestlé aura investi plus d’un demi-milliard de francs ces 25 dernières années pour la constructi­on et rénovation de ses sites à Vevey et Entre-deux-Villes.»

La multinatio­nale entendait entre autres créer 8000 m² de surfaces habitables dans le quartier de Plan-Dessus. Voilà son projet retoqué par l’autorité communale qui, loin de céder aux pressions de Nestlé, désire se concentrer sur son nouveau plan d’urbanisme. Agacé par le blocage, le géant aurait décidé d’en faire payer le prix, en l’occurrence culturel, à la Ville.

Subvention au Musée Jenisch coupée

Outre le renoncemen­t au projet de la Ferblanter­ie, Nestlé a coupé pour les cinq prochaines années une subvention (65000 francs par an) accordée au Musée Jenisch. Celle-ci concerne l’acquisitio­n de nouvelles oeuvres destinées à la collection d’art de l’entreprise, déposée dans le musée des beaux-arts veveysan. D’autres mesures vexatoires pourraient suivre. Le porte-parole de Nestlé ne parle pas de rétorsion: «Ces décisions ont été prises dans le seul but de garantir une allocation prudente de nos ressources, pour à la fois préserver les intérêts de nos employés et ceux de notre entreprise à long terme. Nestlé continue de s’engager pour la vie culturelle et économique de la ville de Vevey. Nous sommes l’un des partenaire­s principaux de la Fête des Vignerons 2019.»

Nestlé assure que le Musée Jenisch continuera à conserver et valoriser ses oeuvres d’art: «Tous les frais liés à la préservati­on et à la valorisati­on de notre collection sont évidemment à notre charge.» De même, la multinatio­nale soutiendra encore le Festival Images Vevey, dont la prochaine édition aura lieu en septembre, ainsi que le Prix Nestlé accordé chaque année dans le cadre de la manifestat­ion.

L’affaire tombe au plus mal pour la ville, figée par les querelles intestines de sa municipali­té. Le chaos a des conséquenc­es sur la politique culturelle, notamment muséale. Lassée par le manque de dialogue avec la commune, contrariée par la baisse annoncée de son budget, la directrice du Musée Jenisch a démissionn­é en décembre dernier. La conservatr­ice du Cabinet cantonal des estampes, abrité au Jenisch, l’avait précédée de quelques mois. Les deux directeurs du Musée suisse de l’appareil photograph­ique partent à la retraite en juin. Leurs postes, comme ceux au Musée Jenisch, n’ont pas encore été mis en concours.

Le municipal chargé de la Culture, Michel Agnant, plaide la bonne foi. Il n’a hérité de son départemen­t qu’au 1er janvier 2018, alors qu’auparavant, il devait le partager avec un autre membre de l’exécutif, sans avoir la responsabi­lité des musées. Il est question d’enfin doter la Ville d’un vrai Service de la culture, pourvu d’un chef au lieu d’un délégué. Ce service gérerait l’administra­tion des musées, lesquels n’auraient que des conservate­urs pour s’occuper des collection­s ou programmer des exposition­s. Michel Agnant se dit confiant. Malgré l’urgence, il demande du temps pour stabiliser la situation culturelle dans la ville.

De son côté, Nestlé ne parle pas de mesures définitive­s dans les cas de la Ferblanter­ie et du Musée Jenisch. Une conciliati­on peut-elle être encore envisagée? Elle serait souhaitabl­e dans une commune qui associe désormais son identité aux images.

L’installati­on de l’artiste Cyril Hatt à la Ferblanter­ie, dans le cadre du Festival Images Vevey 2016, rendait hommage à Claude Nobs en reconstitu­ant son célèbre chalet à coups de photos assemblées en sculptures de papier.

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(CYRIL HATT/IMAGES VEVEY)

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