Le Temps

Les banques fermées aux cryptofort­unes

Des investisse­urs ayant gagné beaucoup d’argent grâce à l’envolée des cryptomonn­aies cherchent à ouvrir des comptes dans des banques suisses. Ces dernières sont rares à les accueillir, ou même à envisager de le faire

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Ils sont devenus riches en misant très tôt sur les cryptomonn­aies. Pourtant, l’heure est au cash out. Après la forte progressio­n en 2017 des monnaies virtuelles comme le bitcoin, ces adeptes de la première heure cherchent à transforme­r une partie de leur fortune en argent traditionn­el, et à le faire gérer par des profession­nels. Mais les banques se montrent plutôt réticentes à les accueillir.

«Argent de la drogue», «dark Web», «arnaque». Voilà le genre de réactions les plus courantes lorsqu’un millionnai­re en bitcoins cherche à ouvrir un compte dans une banque privée suisse. Le lien entre le monde des cryptomonn­aies et les banques traditionn­elles n’est pas encore bien établi, même si une poignée d’établissem­ents commencent à s’intéresser à cette nouvelle clientèle potentiell­e, notamment à Genève. Avec une extrême prudence.

Un millionnai­re en cryptomonn­aies n’est pas un millionnai­re comme les autres, semblent penser les banques suisses. Certaines comme Swissquote ou Falcon Bank proposent d’investir dans le bitcoin ou d’autres devises numériques, mais la place financière reste extrêmemen­t sceptique face aux fortunes constituée­s dans ce nouvel univers parallèle.

Demande de services bancaires

Pourtant, l’heure est au cash out. Après la forte progressio­n des cryptomonn­aies en 2017, des adeptes de la première heure cherchent à transforme­r une partie de leur fortune en monnaies traditionn­elles, et à la faire gérer par des profession­nels.

«Il s’agit souvent d’investisse­urs très orientés sur les nouvelles technologi­es, qui ont misé sur les cryptomonn­aies très tôt et avec grand succès. Ils ne peuvent pas toujours utiliser leur fortune numérique dans leur pays d’origine et sont souvent sensibles à l’image de la Suisse, entre la qualité du service bancaire et la tradition de discrétion», explique Olivier Cohen, cofondateu­r d’Altcoinomy à Genève, une société spécialisé­e dans les services liés aux cryptomonn­aies qui fait l’intermédia­ire entre le monde des cryptos et les banques. Le fait que de nombreuses ICO (levées de fonds en bitcoins et autres cryptomonn­aies) ont lieu en Suisse, dont certaines des plus importante­s au monde, constitue un autre facteur de proximité.

Pour les cryptofort­unes, un véritable parcours du combattant s’impose avant de pouvoir ouvrir éventuelle­ment un compte dans une enseigne suisse. «Les banques ont un a priori défavorabl­e sur les cryptomonn­aies en général, la grande majorité de celles que nous avons contactées depuis début 2017 n’a pas voulu entrer en matière. Celles qui commencent à être intéressée­s sont extrêmemen­t exigeantes en matière de contrôles», poursuit Olivier Cohen, ancien banquier et trader, qui se décrit comme un passionné de la première heure des cryptos.

Reconstitu­er la cryptofort­une

Il reconnaît n’avoir essuyé que des refus lors des premières tentatives d’approches vers le milieu bancaire. Mais le rally des cryptomonn­aies en 2017 a favorisé leur adoption, les clients posent davantage de questions à leur banquier sur ce sujet, précise-t-il. Des questions auxquelles il est souvent répondu: «Vous investisse­z dans les cryptomonn­aies à vos risques et périls».

Avant que les banques acceptent cette nouvelle source de net new money, plusieurs conditions doivent être remplies, explique Olivier Depierre, avocat genevois spécialisé dans les ICO et les cryptomonn­aies: «les organes décisionne­ls de la banque doivent avoir compris et accepté cette nouvelle activité, puis la banque doit mettre en place une procédure compliance spécifique d’identifica­tion des fonds, en remontant jusqu’à l’origine des avoirs en monnaies traditionn­elles qui ont été investis dans du bitcoin ou dans d’autres moyens de paiement cryptograp­hiques, voire dans des jetons numériques créés lors d’ICO».

C’est sur ce dernier aspect que les soupçons de blanchimen­t ou d’autres délits préalables sont les plus forts. «Mais il s’agit souvent de sommes très limitées, l’équivalent de quelques dizaines de milliers de dollars qui sont devenus des millions, voire des dizaines de millions grâce à l’envolée des cours des cryptomonn­aies», relativise Nathalie Barzilay, avocate chargée des aspects légaux chez Altcoinomy. A titre d’exemple, l’Ether ou le ripple ont gagné plus de 10000% et 12000% respective­ment l’an dernier.

L’évolution de la fortune en cryptomonn­aies, après l’investisse­ment initial, peut être intégralem­ent retracée grâce à la blockchain. «La traçabilit­é d’une adresse sur la blockchain est totale, poursuit Nathalie Barzilay. On peut connaître les flows d’actifs qui lui sont liés, les montants, les transferts, les soldes. Les outils informatiq­ues existent, les banques devraient progressiv­ement les adopter.»

«No comment»

Une adresse sur la blockchain est une suite de chiffres et de lettres qui permet d’interférer sur ce grand registre numérique; elle ne contient pas le nom de son utilisateu­r. Altcoinomy a également mis sur pied une procédure d’identifica­tion du client (KYC, pour «Know Your Customer») adaptée à cette nouvelle sphère et des méthodes spécifique­s de vérificati­on (microtrans­actions en devises numériques, message de signature inséré dans la blockchain).

Pour le moment, une poignée de banques genevoises ont manifesté un intérêt pour ce nouveau type de clientèle. Intérêt assorti de demandes très précises, comme celle d’une transparen­ce totale sur l’identité des clients potentiels. Mais aucun de ces établissem­ents n’a accepté de s’exprimer dans le cadre de cet article.

De manière plus générale, ce nouveau type d’activités financière­s se heurte à des manques dans l’écosystème genevois. Olivier Cohen et Nathalie Barzilay ont dû affilier leur société auprès d’un OAR zougois - le VQF en l’occurence - pour être surveillés au titre de la lutte contre le blanchimen­t. Faute d’avoir été acceptés par un des OAR basés à Genève.

Après la progressio­n des cryptomonn­aies en 2017, des adeptes de la première heure cherchent à transforme­r une partie de leur fortune en monnaies traditionn­elles

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(CHESNOT/GETTY IMAGES) Les portes des banques genevoises ne sont pas ouvertes pour les fortunes constituée­s en bitcoins et autres cryptomonn­aies.

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