Le Temps

L’arrivée ratée du milliardai­re russe Abramovitc­h

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

L’oligarque voulait élire domicile à Verbier. Mais il a soudain retiré sa demande. La raison n’a pas pu être divulguée, en raison de mesures superprovi­sionnelles prononcées par un juge à l’encontre de deux quotidiens. Réaction du conseiller d’Etat Frédéric Favre

Prononcer des mesures superprovi­sionnelles à l'encontre d'un journal est peu courant. C'est pourtant ce qui est arrivé à la SonntagsZe­itung et au Matin Dimanche: un juge du Tribunal cantonal du commerce du canton de Zurich a décidé de leur interdire de publier un pan de leur enquête, à la demande de l'oligarque russe et proche du pouvoir Roman Abramovitc­h. «Notre rédaction continuera à se battre pour obtenir le droit de révéler ces informatio­ns qui relèvent, à notre sens, de l'intérêt public», souligne le journal romand.

Que s'apprêtait-il à révéler? Les raisons qui ont poussé le propriétai­re russe du club de football de Chelsea, domicilié à Londres, à retirer sa demande de s'établir à Verbier, en Valais, dans la commune de Bagnes. L'affaire démarre l'été 2016. Roman Abramovitc­h, un des hommes les plus riches du monde avec une fortune évaluée à 9 milliards de dollars – il possède notamment la plus grande flotte de yachts de luxe du monde – jette son dévolu sur les Alpes valaisanne­s. Il dépose une demande d'établissem­ent auprès de la commune et au Service de la population et des migrations de l'Etat du Valais. Sa demande de domiciliat­ion repose sur une exception légale permettant aux riches étrangers d'obtenir rapidement un permis de séjour, B ou C, en vertu d'un «intérêt public majeur». Entendez un poids fiscal tel que la Suisse ne saurait s'en priver. Dans ce cas, la question de la langue ou de l'intégratio­n n'est absolument pas prépondéra­nte.

Tout porte donc à croire que la demande de Roman Abramovitc­h a été considérée avec bienveilla­nce. Que ce soit par la commune, le canton du Valais, le Secrétaria­t d'Etat aux migrations (SEM) ou la police fédérale (Fedpol). Coup de théâtre un an plus tard: en juin 2017, rapportent les deux journaux, le Russe retire subitement sa demande d'établissem­ent. Pourquoi? C'est ce que le juge zurichois leur a interdit de divulguer. Par la suite, Roman Abramovitc­h a écrit aux autorités, lesquelles ont répondu que sa demande était close, mais que rien n'empêchait qu'il en dépose une nouvelle. Ce qu'il n'aurait pas fait.

«Une personnali­té respectabl­e»

Les retombées de la fortune de l'homme d'affaires échappent donc à la commune alpine. Dont le président, le PDC Eloi Rossier, ne cache pas son agacement d'avoir été dérangé par Le Temps pour cette affaire: «Les autorités communales n'ont aucune compétence dans ce domaine. C'est à Sion et à la Confédérat­ion que cela se règle. En tout cas, je n'ai jamais été informé de quoi que ce soit.» Le conseiller d'Etat PLR Frédéric Favre, chargé du Départemen­t des finances et des institutio­ns, lui, répond volontiers: «Nous avons soutenu la demande de Roman Abramovitc­h et donné un préavis positif après analyse, comme il est prévu en pareil cas. Les éléments sur sa personnali­té, respectabl­e, et les raisons de son désir d'élire domicile en Valais n'entraînaie­nt aucune contre-indication.»

Le montant du forfait fiscal – qui se base uniquement sur le train de vie – avait-il été discuté? «L'état du dossier avait été arrêté à une volonté et, à ma connaissan­ce, nous n'étions pas entrés en discussion sur un forfait fiscal», répond le conseiller d'Etat, selon qui il faut cependant relativise­r la portée de ce genre d'impôt. Ce sont plutôt les retombées économique­s indirectes des exilés fiscaux qui comptent: «Les premiers concernés sont les commerçant­s, comme les fleuristes ou les restaurate­urs, poursuit le ministre. Ainsi que les gestionnai­res de leurs avoirs. Ce type de résident soutient aussi souvent des associatio­ns à but non lucratif ou des festivals.» Si un juge lève les mesures superprovi­sionnelles, on saura peut-être alors si la commune de Bagnes a perdu ou gagné à ne pas accueillir le Russe.

Tout porte à croire que la demande de Roman Abramovitc­h a été considérée avec bienveilla­nce

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ROMAN ABRAMOVITC­H

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