Le Temps

Les modèles: nécessaire­s et inutiles

- JEAN NIKLAS RESPONSABL­E DES INVESTISSE­MENTS EN ACTIONS, BCV

Comme beaucoup d’analystes financiers, j’ai passé une partie de ma vie profession­nelle à chercher LA méthode infaillibl­e pour évaluer le prix d’une action. Celle qui m’aurait permis de comprendre et d’identifier (avant les autres) les opportunit­és du marché, d’en profiter, de battre mon benchmark… Comme la plupart, j’ai labouré les modèles (Discounted Cash Flow, Economic Value Added, Holt, CFROI, EBO, DDM…), butant toujours sur les mêmes énigmes: comment évaluer la croissance, estimer la rentabilit­é, mesurer le coût du capital, etc.

Et comme d’autres avant moi, j’ai fini par me lasser (est-ce l’effet de la sagesse ou de l’âge?). Estimer la fair value est plus un art qu’une science. Ou du moins une science dite molle, puisque tous les paramètres varient, sont interdépen­dants et reposent en partie sur des facteurs psychologi­ques fluctuants. Alors?

A la recherche du Graal

Et si on revenait aux fondamenta­ux? Et si on basait notre évaluation sur ce qu’on connaît et pas sur ce qu’on doit estimer? Mais dans le fond, que connaît-on, s’agissant des actions? Pas grandchose, à part le dividende et son corollaire: le rendement au dividende. Et si on basait notre évaluation sur ce seul critère? Quels sont d’abord ses avantages?

Premièreme­nt, il est ancré dans la réalité: le dividende est payable en cash. Ce n’est pas une promesse de rendement futur, c’est de la trésorerie aujourd’hui.

Deuxièmeme­nt, il reflète un engagement concret du management: il représente le résultat d’une négociatio­n entre le conseil d’administra­tion (représenta­nt l’actionnair­e) et la direction de l’entreprise. Il est le résultat d’une lutte saine, la direction cherchant en général à minimiser le dividende pour pouvoir réinvestir et croître, le conseil cherchant, lui, généraleme­nt à le maximiser pour favoriser son actionnair­e (ce dernier approuvant la distributi­on). Donc une décision consensuel­le, impliquant tous les acteurs, et responsabl­e: un management qui coupe le dividende est un management mort! On est loin des concepts théoriques sur lesquels reposent les autres modèles en général.

Les actions moyennemen­t chères

Troisièmem­ent, il est fiable puisqu’il lisse la volatilité des bénéfices annuels, des free cash-flows et autres facteurs traditionn­ellement utilisés. Prenez l’exemple des sociétés pétrolière­s. Les revenus, les bénéfices, les cash-flows dépendent en grande partie du cours du pétrole. Leur dividende reste, lui, assez stable ou croît de façon régulière au fil des ans, parce que le management connaît bien sa marge de manoeuvre, ce qu’il peut distribuer sans mettre la société (et surtout lui-même) en péril.

Donc, contrairem­ent aux modèles théoriques reposant sur des hypothèses, le dividende répond à un certain nombre d’éléments réels. Le Graal est trouvé. Hourra! Et que nous dit le dividende aujourd’hui sur le niveau de valorisati­on des marchés?

Avec un rendement au dividende de 1,8% pour les marchés américains et japonais, de 3,4% pour le marché européen, de 3,1% pour la Suisse ou encore de 2,5% pour les pays émergents, les actions se trouvent globalemen­t à un niveau de cherté en ligne avec son historique. Ni plus ni moins.

Utile? Oui. Rassurant? Oui et non, puisque l’expérience (ou la sagesse ou l’âge) m’a fait aussi comprendre que ce n’est pas le niveau de valorisati­on en lui-même qui fait monter ou baisser le marché. Les modèles de valorisati­on sont de mauvais indicateur­s des mouvements futurs. On n’achète (ou ne vend) pas à cause d’un modèle, quel qu’il soit, mais parce que les facteurs qui l’influencen­t se modifient. J’en suis donc à recommence­r à analyser les taux d’intérêt, la croissance, la rentabilit­é, et donc à refaire des modèles…

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