Est-ce la vraie fin des taux négatifs sur les obligations?
Alan Greenspan (à g.), ancien président de la Fed, parle de bulle obligataire (ici avec Ben Bernanke en octobre 2017).
Le changement de tendance sur les taux se lit dans les obligations comme dans les hypothèques à taux fixe. Même Alan Greenspan parle de «bulle obligataire». Après un mois de janvier difficile, le rythme de la hausse fait débat
Les trente dernières années ont été marquées par une tendance à la baisse des taux et un rendement obligataire généreux. Mais il serait faux de prétendre que la tendance a été linéaire. Les crises se sont succédé (euro, «subprime», Ukraine) et des hausses cycliques se sont produites. La tendance semble finalement s’inverser. Etonnamment, les économistes s’accordent tous à penser que cette fois sera la bonne. Des taux courts aux taux hypothécaires, tous iront-ils à la hausse? Et à quel rythme?
Aujourd’hui, même Alan Greenspan, ancien président de la Fed, parle de la fin de la «bulle obligataire», comme il l’a fait mercredi dernier sur Bloomberg TV. Le début d’année témoigne du virage en cours. En janvier, les obligations en francs suisses (de 5 à 7 ans) ont perdu 0,7%, celles pays émergents en monnaies fortes 4,6%, selon le groupe de recherche indépendant R&A Group.
Les rendements des obligations à 10 ans sont en hausse d’environ 30 points de base en un mois. En Suisse, les titres de la Confédération sont redevenus positifs et le rendement des obligations du Trésor américain a dépassé 2,7%. Les objectifs annoncés par les stratégistes en décembre pour la fin 2018 s’approchent à grande vitesse.
Cette fois, le changement de tendance est perceptible. «Après une performance nulle en 2017, les détenteurs d’obligations de la Confédération à 10 ans pourraient perdre jusqu’à 3-4% cette année», selon Fernando Martins da Silva, directeur de la politique de placement à la BCV. En effet, les rendements à 10 ans pourraient grimper par paliers, passant de –0,2% en 2017 à 0,5% dans le courant de 2018, prévoit-il.
La BNS pourrait donner des signes de préparation à la fin des taux négatifs. Il n’est pas exclu, selon la BCV, qu’elle relève ses taux directeurs, actuellement à –0,75%, et les amène à –0,5% à fin 2018, à condition que l’euro poursuive sa hausse vis-à-vis du franc en direction de 1,20 franc. Il est vrai que si l’économie mondiale devrait présenter une croissance stable (environ 3,7%), le PIB suisse devrait s’accélérer, note encore la BCV.
L’inflation dépasse les attentes
La raison de cette hausse des taux est à chercher dans la hausse progressive de l’inflation et l’anticipation de politiques monétaires plus neutres. Le taux de chômage est en effet en baisse sensible tant en Europe qu’aux Etats-Unis et les salaires augmentent, si bien que l’inflation devrait rester au-dessus de 0,5% cette année en Suisse. Le contraste est important si l’on considère que l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) est demeurée longtemps négative en Suisse (de 2011 à la mi-2017), rappelle Fernando Martins da Silva.
«Les taux d’intérêt ont atteint leur plus bas et vont progresser graduellement. La volatilité s’est peut-être accrue plus tôt que nous l’attendions», indique pour sa part Daniel Rempfler, responsable des obligations dans le secteur des affaires pour compte de tiers auprès de Swiss Life Asset Managers en Suisse.
«La hausse devrait se poursuivre, mais progresser par paliers et pas au même rythme que ces dernières semaines», ajoute Marc Brütsch, chef économiste de Swiss Life. Les deux stratégistes sont toutefois d’avis que les prévisions avancées en décembre ne sont pas significativement modifiées.
Fin des taux négatifs sur les obligations suisses
A la fin de l’année, le rendement à 10 ans des obligations de la Confédération devrait atteindre 0,3%. «En Suisse, l’inflation ne devrait guère dépasser 0,8% cette année et la conjoncture devrait cesser de s’accélérer, ainsi qu’en témoignent l’indice KOF en Suisse et l’indice des directeurs d’achat (PMI) en Europe», argumente Marc Brütsch.
Comme les taux ont touché le plancher, les détenteurs d’hypothèques devraient envisager de fixer leur taux à long terme plutôt que de rester en majeure partie avec des hypothèques Libor. Les hypothèques à 5 ans sont d’ailleurs aussi en hausse. Elles ont un taux moyen de 1,292% à fin janvier, contre 1,145% à fin novembre, selon HypothekenZentrum.
Aux Etats-Unis, «le risque sur les taux courts se situe plutôt à la hausse, en raison de la fermeté de la conjoncture, de la hausse des anticipations d’inflation et de la tentative de réduction du bilan de la banque centrale», avance le chef économiste de Swiss Life. Les experts de Swiss Life prévoient trois hausses de taux directeurs en 2018.
Par contre, la BCE ne devrait commencer à relever ses taux qu’en 2019, selon Swiss Life. Benoît Coeuré, membre du directoire, s’attend à ce que l’inflation n’atteigne l’objectif de 2% qu’en 2020. En Europe, la normalisation peut attendre. En réponse à ces différences macroéconomiques majeures, la pente de la courbe des taux devrait s’aplanir aux Etats-Unis, sous l’effet de la hausse relativement plus forte des taux courts, alors qu’elle devrait être progressivement plus raide qu’aujourd’hui en Europe, selon les experts de Swiss Life.
La tendance à la hausse des taux est globale, confirme le chef stratégiste
Les rendements des obligations à 10 ans sont en hausse d’environ 30 points de base en un mois
de la BCV. Ce dernier s’attend à un Bund allemand à 10 ans à 1%, voire un peu au-dessus, et les titres du Trésor américain à 3%, peut-être même 3,25%. Il avertit toutefois que ce scénario ne se concrétiserait qu’à condition d’éviter un ralentissement notable de la conjoncture en Chine ou aux Etats-Unis.
«Il n’est plus possible d’extrapoler le passé pour évaluer les futurs gains. Dans les obligations, les variations quotidiennes ne seront plus de 1 ou 2 points de base, mais probablement du double. La volatilité devrait grimper à 15% sur les actions et non plus rester au maximum de 5%», prévoit Scott Mather, directeur des placements obligataires auprès de Pimco.
C’est pourquoi les fonds obligataires «Total Return», qui diversifient les sources de gain (crédit, duration, volatilité, monnaies, forme de la courbe des taux), pourraient obtenir un rendement positif dans un contexte de hausse des taux. En raison du long cycle de baisse des taux, les écarts de crédit se sont fortement resserrés. «C’est le bon moment pour tirer parti des inefficiences du marché obligataire grâce à l’analyse fondamentale», explique Gregor Dannacher, stratégiste en obligations auprès de T. Rowe Price.
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