Le Temps

Outsourcin­g bancaire: la réglementa­tion évolue

- AVOCAT CHEZ LENZ & STAEHELIN

L’externalis­ation (outsourcin­g en anglais ) est depuis des décennies d’un usage très répandu auprès des institutio­ns financière­s tant en Suisse qu’à l’étranger. Cette pratique, qui consiste à déléguer à un tiers l’exécution de tâches diverses (relevant généraleme­nt du middle ou du back-office), est aujourd’hui une réalité pour la plupart des banques suisses (et étrangères). Cet outsourcin­g peut intervenir auprès de prestatair­es tant suisses qu’étrangers.

Selon les cas, le prestatair­e est soit une autre entité du groupe (voire le siège de la succursale suisse), soit un tiers. De manière générale, le prestatair­e chargé de fournir des fonctions externalis­ées se voit transmettr­e des informatio­ns confidenti­elles relatives aux affaires, voire aux clients de l’entreprise externalis­ante.

Approche très libérale

Les motifs qui ont conduit à la généralisa­tion de l’outsourcin­g en matière bancaire tiennent tant à la recherche de standardis­ation et d’efficience accrue (notamment pour les externalis­ations intra-groupes) qu’à des considérat­ions financière­s (économies de coûts).

En Suisse, la pratique des autorités de surveillan­ce bancaire (à l’époque la Commission fédérale des banques, CFB, devenue ensuite la Finma) en matière d’outsourcin­g a historique­ment été très libérale. Dès les années 1980, l’externalis­ation de fonctions bancaires a été autorisée à des conditions qui se sont assouplies avec le temps. Cette pratique était codifiée pour les banques et les négociants en valeurs mobilières dans une circulaire (aujourd’hui, la circulaire Finma 2008/7). Le secteur des assurances opérait dans un cadre similaire, sans être toutefois soumis à une circulaire de la Finma.

Un certain nombre de problèmes survenus ces dernières années en lien avec des fonctions externalis­ées ont toutefois amené la Finma à réexaminer de manière approfondi­e la question de l’outsourcin­g. Après une période de consultati­on ayant débuté en décembre 2016, une nouvelle circulaire (Finma 2018/3) a récemment été publiée reflétant la nouvelle approche de l’autorité de surveillan­ce en matière d’externalis­ation. Cette circulaire qui entrera en vigueur le 1er avril 2018, tout en maintenant l’approche de base de la Finma, apporte un certain nombre de changement­s significat­ifs à la pratique existante sur lesquels il convient de revenir.

En substance et en résumé, quatre points sont à relever:

La nouvelle circulaire – très succincte – adopte une approche fondée sur des principes et se veut «neutre technologi­quement». Partant, elle supprime un certain nombre de précisions figurant dans la circulaire précédente qui en facilitait l’interpréta­tion (portant par exemple sur la nature «essentiell­e» de la fonction déléguée). Ce faisant, elle vise à forcer l’institutio­n à assumer la responsabi­lité de son appréciati­on et, le cas échéant, à justifier celle-ci vis-à-vis de l’autorité selon le cas d’espèce. Cela étant, la nouvelle circulaire impose aux institutio­ns d’établir un inventaire de l’ensemble des fonctions externalis­ées, incluant notamment une descriptio­n des fonctions externalis­ées et l’organe responsabl­e au sein de l’institutio­n. A la suite de certaines expérience­s malheureus­es avec des groupes bancaires internatio­naux, la Finma abandonne pour l’essentiel dans sa circulaire 2018/3 la distinctio­n faite jusque-là entre externalis­ations intra-groupes et celles opérées auprès de prestatair­es tiers. La circulaire 2008/7 offrait en effet un certain nombre d’allégement­s à l’outsourcin­g mis en place au sein d’un groupe, notamment s’agissant des obligation­s imposées dans le choix et le contrôle du prestatair­e et la documentat­ion contractue­lle. Ces allégement­s disparaiss­ent, sauf si l’entreprise externalis­ante peut démontrer qu’il n’existe dans le cas d’espèce aucun risque justifiant l’imposition de telles obligation­s (circulaire 2018/3 – ch 22), démonstrat­ion qu’il sera généraleme­nt impossible d’apporter.

L’externalis­ation de fonctions à l’étranger reste possible sans conditions préalables particuliè­res. La Finma a en effet renoncé dans le texte final de sa nouvelle circulaire à l’exigence d’une informatio­n préalable et à la démonstrat­ion formelle d’un droit de contrôle sur le prestatair­e étranger. Il importe toutefois que l’entreprise qui recourt à un outsourcin­g à l’étranger puisse assurer un accès «intégral, permanent et sans entraves» aux fonctions déléguées tant pour elle-même que pour ses réviseurs et la Finma, droit d’accès qui doit être garanti contractue­llement. L’idée est ainsi de mettre sur un pied d’égalité prudentiel les institutio­ns qui recourent à l’outsourcin­g et celles qui ne le font pas.

«En Suisse, la pratique des autorités de surveillan­ce bancaire en matière d’outsourcin­g a historique­ment été très libérale»

Historique­ment, la CFB, puis la Finma étaient particuliè­rement attachées au respect du secret des affaires et bancaire en cas de transfert de données à l’étranger, pour lequel certaines exigences spécifique­s étaient imposées (notamment un avis séparé aux clients concernés avec possibilit­é de résilier la relation). Cet aspect disparaît complèteme­nt dans la nouvelle circulaire Finma, qui laisse aux institutio­ns le soin de s’assurer du respect du secret bancaire et de la législatio­n en matière de protection des données (LPD) auprès du préposé fédéral à la protection des données et à la transparen­ce. Si l’on peut comprendre la logique de la nouvelle circulaire, l’on doit s’attendre à ce que cette approche complique en pratique la situation, l’usage étant jusque-là de considérer que le respect de la réglementa­tion de la Finma couvrait également le secret bancaire et la LPD. A noter qu’en matière bancaire, l’autorité de surveillan­ce se réserve par ailleurs l’examen de ces questions de transfert de données clients sous l’angle de l’organisati­on et des procédures mises en place par l’institutio­n pour assumer les risques opérationn­els découlant de cette activité (circulaire Finma 2008/21).

L’on voit ainsi que si, pour l’essentiel, l’approche réglementa­ire de l’externalis­ation reste inchangée, les détails de celle-ci vont évoluer de manière marquée avec la nouvelle circulaire de la Finma. L’autorité l’a bien apprécié en acceptant d’octroyer un délai transitoir­e particuliè­rement long (cinq ans!) aux banques et aux négociants pour adapter le cadre de leurs activités existantes en matière d’outsourcin­g. Un tel délai n’est pas accordé aux assurances, qui n’étaient pas couvertes par la précédente circulaire.

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SHELBY DU PASQUIER

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