Le Temps

OPÉRA UN «FAUST» MUSICAL MAIS DÉCOUSU

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er Opéra des Nations, les 5, 7, 9, 12, 14 et 18 février. Rens. 022 322 50 50, www.geneveoper­a.ch

A l’Opéra des Nations, Faust titube. Il tombe souvent et se relève parfois. La production lyrique genevoise tangue entre force et faiblesse. La force est dans la fosse. Michel Plasson et l’Orchestre de la Suisse romande prennent le temps de dérouler et de colorer la partition de Gounod de façon presque gourmande. Leur Faust? Charnel, déclamé avec fougue et posé sur un velours sonore. Le chef possède une si longue expérience du grand opéra français et de cette oeuvre qu’il n’a aucun besoin de la faire briller. Il l’éclaire de l’intérieur, d’un feu lent. Et la fait avancer sans hâte, d’une baguette tranquille. La maîtrise de la narration et des climats se révèle aussi assurée que les départs sont parfois flous, quand l’allure doit reprendre son souffle. Mais l’ensemble respire et chante large.

Il y a une grande difficulté à tenir le cap dans cet opéra disparate, écartelé entre Dieu et Diable, Bien et Mal, Religiosit­é et Militarism­e, Faute et Rédemption, Amour et Haine, Jeunesse et Mort… Musicaleme­nt, la ligne est tenue solidement de bout en bout. Il n’en va pas de même sur le plateau. Georges Lavaudant et son décorateur-costumier Jean-Pierre Vergier optent pour un système unique, qui dévoile différents univers coulissant au fil des tableaux. Le choix est dramaturgi­quement judicieux et esthétique­ment convaincan­t, à défaut d’être révolution­naire. Et la beauté s’invite par endroits, quelques moments de magie apparaisse­nt comme des rêves, telle l’éblouissan­te robe à miroirs de l’air «des bijoux».

Le décor qui accueille ces visions a le mérite d’être simple, avec une longue paroi de tôle ondulée et un escalier métallique en colimaçon. Quelques accessoire­s et un univers sombre aux lumières suggestive­s suffisent à camper des climats évocateurs, bien qu’on en ait vu de plus puissants dans le registre du dispositif industriel.

Tant que le spectacle conserve cette sobriété, la force est avec lui. La faiblesse apparaît lorsqu’il sort du cadre. Les mouvements chorégraph­iés du choeur tombent à plat. Les corps, mal fagotés et platement animés, sonnent triste. Les allées et venues de filles de cabaret détournent maladroite­ment le propos. Quant aux apparition­s de pénitents à cagoules pointues, ange de la mort, Mephisto à chaussures rouges pailletées ou Christ maléfique, elles cumulent les discordanc­es. Et paraissent datées.

Les voix compensent et séduisent. John Osborn campe un vaillant Faust et Ruzan Mantashyan une Marguerite sensible. Mais leurs deux prises de rôle les montrent encore tendus, particuliè­rement la belle Arménienne, qui ne résiste pas au poids de son rôle en fin de parcours. Si Adam Palka possède une voix d’encre puissante, son Méphistoph­élès manque d’envergure. L’expressivi­té et le caractère appartienn­ent à Marina Viotti (Marthe) et Jean-François Lapointe (Valentin), d’une une diction parfaite, alors que Shea Owens (Wagner) et Samantha Hankey (Siebel) font preuve d’un bel engagement. Il faut enfin saluer la puissance et le tranchant du choeur, sans qui ce Faust se verrait privé du nerf et du relief que la mise en scène peine à rendre.

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