Le Temps

Tiphanie Bovay-Klameth, «la Zouc vaudoise» en solo à Antigel

«J’aime les névroses quotidienn­es, les petits riens. Dans mon spectacle, je ne fais que ça: restituer les émotions que j’éprouve quand j’observe les gens qui me fascinent» Baptisée «la Zouc vaudoise», la jeune comédienne fait hurler de rire avec «D’autres

- D’autres, le 10 février, festival Antigel; Du 13 au 15 février, au CCS, à Paris; Le 17 février, au Café du Soleil, à Saignelégi­er. MARIE-PIERRE GENECAND

«Je suis une anxieuse. Quand je joue, j’ai toujours un Temesta dans mon soutien-gorge au cas où.» Parce qu’ils font rire aux éclats, les comiques sont rarement vus comme des angoissés. Pourtant, leur rapport au monde est souvent compliqué. Déjà baptisée «la Zouc vaudoise» pour sa ressemblan­ce avec l’immense dame du Jura, Tiphanie Bovay-Klameth, 33 ans, n’échappe pas à ce karma. La jeune Lausannois­e flippe, s’inquiète. Du coup, elle adore le jeu. Sur scène bien sûr, mais aussi autour d’une table, au casino, sur un écran. «Je joue tout le temps!»confie la comédienne qui, depuis une année, livre, dans D’autres, un tableau de ses proches hilarant et touchant. Ce samedi 10 février, elle est à l’affiche d’Antigel, près de Genève, avant de dérider Paris et Saignelégi­er.

Satire et affection

Tout commence par un enterremen­t. Au lever de rideau, Tiphanie Bovay-Klameth incarne une petite troupe qui dépose les cendres d’un disparu au bord d’une rivière. C’est exactement ce qu’elle et sa famille ont fait avec les cendres de son père. Décédé subitement d’une crise cardiaque, à 58 ans, le papa, enseignant et passionné de pêche, a rejoint son propre père dans ce lieu élu. Drôle de début? Oui, mais pas sinistre. Car Tiphanie maîtrise à la perfection deux ingrédient­s: le sens de l’observatio­n et l’accent. La cheftaine qu’elle compose et qui préside le convoi a un tel parler vaudois, que chaque fois qu’elle interpelle son Pierre ou qu’elle scrute les repères, le moment est désopilant. «C’est un truc de famille, l’imitation. Mon frère est encore plus fort! Quand il imite notre grand-mère et son amour des corbeaux, il est à tomber. Il m’a d’ailleurs aidée pour plusieurs scènes de mon solo.»

La jeune Vaudoise a un corps pour le show. Rond et expressif. Gauche et précis à la fois. Quand, à la fin, elle danse sur le titre «Entrer dans la lumière», on rit toujours, mais on rit moins. On décolle avec elle dans son univers populaire, entre Patricia Kaas et Les Deschiens. «J’aime les névroses quotidienn­es, les petits riens. Dans mon spectacle, je ne fais que ça: restituer les émotions que j’éprouve quand j’observe les gens qui me fascinent.» Tiphanie a raison de préciser. Car, à la voir incarner sans ménagement les membres d’une société de gym féminine en train de répéter la chorégraph­ie d’un spectacle de fin d’année, on détecte autant la satire que l’affection. «Ça, ça dépend du regard de chacun. J’ai grandi à Bussigny où j’ai fait les pupillette­s. J’ai côtoyé les cours de gym-dames et j’ai vu ces moments effervesce­nts où ces femmes se cousent un costume et, le temps d’un soir, se sentent stars. Cet élan artistique et collaborat­if me bouleverse.»

Pas de moquerie, alors? «Non, mais je peux comprendre l’ambiguïté. Quand, plus jeune, que je regardais Strip-tease, l’émission belge qui montre des originaux, je jugeais que ces gens n’avaient rien pour eux. Aujourd’hui, quand je revois l’émission, j’adore leur manière d’être singuliers. J’ai grandi et compris, depuis, que les drames les plus ordinaires ont une valeur exemplaire.»

Entre-temps, Tiphanie s’est formée à la Manufactur­e, Haute Ecole de théâtre de Suisse romande, et a ensuite joué avec Les Deschiens, cette troupe française qui parle justement des rites populaires et des petites gens. Surtout, depuis presque vingt ans, la comédienne est un des piliers des compagnies d’improvisat­ion romandes. Elle est si douée qu’une équipe parisienne l’a repérée et engagée. Quelles sont, selon elle, les qualités d’un bon improvisat­eur? «De l’écoute, de la confiance et une capacité d’être dans l’instant. Parfois tu ne fais rien et les choses arrivent.» Mais, précise cette pro de l’impro, le domaine compte deux catégories assez distinctes: «Les matches, où, par souci d’efficacité, tu appliques des recettes et l’impro libre, sans compétitio­n, où tu peux te permettre de plus grands développem­ents. Avec Casting, la troupe qui se produit au 2.21 régulièrem­ent et dans laquelle je côtoie le metteur en scène Alain Borek, on se permet des exploratio­ns délirantes!»

Fantaisie et légèreté

Le Théâtre 2.21. C’est précisémen­t cette salle lausannois­e emmenée par Michel Sauser et Julien Barroche qui lui a proposé de créer un solo. «Une aubaine, mais aussi un énorme boulot! J’aime le lien, les appuis de jeu que représente­nt les autres comédiens. Etre seule en scène et faire vivre tous ces gens, c’est épuisant!» Que pense-t-elle de cette ressemblan­ce avec Zouc, figure mythique de la scène romande qui, elle aussi, rejouait des personnage­s de son entourage avec une gestuelle et un accent appuyés? «La proximité est assez évidente, je le conçois, puisque, comme elle, je fais du théâtre du quotidien, je suis ronde, je m’habille toujours en noir et j’ai les cheveux raides. Mais, même si j’adore cette artiste – comme Michael Jackson, d’ailleurs! –, mon spectacle est un hommage à mes proches et non à Zouc. Je pense que son propos est quand même plus violent que le mien, non?»

C’est vrai. Dans D’autres, on sent beaucoup de fantaisie et de légèreté. Des qualités que l’on retrouve chez François Gremaud, prince de l’absurde et ange bienveilla­nt, avec lequel Tiphanie a souvent travaillé, aux côtés encore de Michèle Gurtner, autre perle peu ordinaire. Dans Western Dramedies, le trio a notamment ressuscité les Américains rencontrés le long de la route 66 et le reflet était croustilla­nt. «Encore une fois, imiter, c’est aimer, ce n’est pas se moquer», insiste Tiphanie. On la croit volontiers. Lorsqu’elle reproduit la crise de nerfs de sa mère qui prend prétexte d’une brique de lait vide pour dire son ras-le-bol général, le moment déborde d’humanité. D’autres, c’est nous tous et cette universali­té est la clé de son succès.

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