Le Temps

Fin de l’euphorie sur les marchés boursiers

Lundi, les bourses asiatiques et européenne­s ont suivi Wall Street, qui avait perdu 2% vendredi. Pour les analystes, il s’agit d’une simple correction de courte durée. La nuit dernière, le nouveau président de la Fed, Jerome Powell, s’est lui aussi voulu

- RAM ETWAREEA t @ram52

Les places européenne­s et asiatiques ont chuté lundi dans le sillage de Wall Street. La fin d’une décennie de taux zéro et de politiques monétaires ultra-accommodan­tes explique cette nervosité

Après des mois de hausse ininterrom­pue, les bourses mondiales connaissen­t une sévère correction depuis vendredi. Hier, les places asiatiques et européenne­s ont toutes terminé dans le rouge, à commencer par Zurich (–1,3%), Paris (–1,48%), Londres (–1,46%), mais aussi Hongkong ou Tokyo.

Cette nervosité n’est pas seulement conjonctur­elle. Elle traduit un changement de paradigme économique beaucoup plus profond. Après une décennie marquée par des injections massives de liquidités dans l’économie mondiale par les banques centrales, accompagné­es de taux d’intérêt zéro ou négatifs, une remontée des taux se profile. Aux Etats-Unis, le loyer de l’argent devrait même connaître plusieurs remontées successive­s et sans doute plus rapides qu’anticipé. Cette évolution, qui s’explique par des salaires en hausse et des craintes d’inflation, explique la soudaine correction actuelle.

«Je m’attends à voir des changement­s fondamenta­ux dans la politique monétaire en 2018, confirme Stefan Gerlach, chef économiste à la banque EFG. La Réserve fédérale (Fed) a relevé ses taux graduellem­ent depuis décembre 2015 et il est probable que la vitesse des hausses de taux s’accélère cette année.»

En Europe et encore plus en Suisse, cette remontée devrait être beaucoup plus lente, la BNS ne devant pas revenir à des taux positifs avant 2019. La banque nationale pourra en revanche réduire ses interventi­ons pour soulager le franc sur les marchés des changes. Et, à long terme, les taux devraient rester modérés un peu partout: malgré la solide croissance du moment, l’économie actuelle ne pourrait pas supporter plus, soulignent plusieurs experts.

«Je m’attends à voir des changement­s fondamenta­ux dans la politique monétaire en 2018» STEFAN GERLACH, CHEF ÉCONOMISTE À LA BANQUE EFG

La journée de lundi a plutôt mal commencé pour les places financière­s, d’abord en Asie, puis en Europe. Elles ont d’emblée dévissé, le Nikkei, l’indice phare au Japon, chutant de 2,55% à la clôture. En Europe, les bourses de Francfort, Paris et Londres ont aussi ouvert en forte baisse, avant de terminer la journée en recul d’environ 1%. Le Swiss Market Index (SMI) n’a pas fait exception et a reculé de 1,3%.

En réalité, elles ont toutes réagi à la chute de Wall Street vendredi, lorsque le Dow Jones, l’indice des industriel­s américains, a perdu 2,5% dans ce qui a été sa pire séance depuis juin 2016. Lundi après-midi, tous les yeux étaient donc rivés sur les bourses américaine­s. Après une ouverture dans le rouge, Dow Jones et Nasdaq ont limité la casse. En début de soirée, ils perdaient 0,8% et 1,4% respective­ment.

«La hausse du taux des obligation­s américaine­s à 10 ans à 2,85% a été l’élément déclencheu­r de la chute de Wall Street vendredi, explique Pierre Pinel, responsabl­e des investisse­ments de Mirabaud Asset Management à Genève. En plus, l’annonce d’une augmentati­on significat­ive des salaires américains en janvier a ravivé les craintes d’inflation et la possibilit­é de voir la Fed relever ses taux directeurs plus rapidement que prévu.»

Réaction saine des bourses

«Dès lors, les investisse­urs se sont rués vers les obligatair­es, délaissant le marché actions, poursuit Pierre Pinel. Ce transfert est une réaction normale, voire saine, dans la mesure où les actions se sont passableme­nt renchéries durant les deux dernières années.» Depuis janvier, la hausse a même été spectacula­ire:+7%. Plusieurs analystes soulignent qu’il s’agit bien d’un excès que les marchés ont voulu corriger.

Dans le sillage de Wall Street vendredi, les bourses européenne­s ont ouvert lundi en forte baisse, avant de terminer la journée en recul d’environ 1%.

«Notre stratégie? Positionne­ment neutre sur les actifs risqués. On augmentera les actions après la correction, déclare Pierre Pinel. Nous recommando­ns la patience.» Ce dernier note aussi que tous les fondamenta­ux économique­s sont stables et que les sondages prédisent une croissance synchronis­ée dans toutes les régions du monde. Et d’ajouter: «Les risques de récession sont à ce stade invisibles et les places financière­s, malgré plusieurs correction­s ponctuelle­s, restent orientées à la hausse.»

Benjamin Melman, responsabl­e de l’allocation d’actifs et de la dette souveraine chez Edmond de Rothschild Asset Management, ne recommande en aucun cas de se séparer de ses actions. «La hausse des taux souverains de ces dernières semaines, à laquelle il a fallu ajouter les vigoureuse­s statistiqu­es sur les salaires horaires aux Etats-Unis, a fini par inquiéter les investisse­urs quant à un changement de paradigme», dit-il. Selon lui, ce n’est pas tant la hausse des taux – cela était prévisible – mais la rapidité avec laquelle elle est intervenue qui explique la volatilité des marchés vendredi et lundi.

«C’est une chose que l’inflation augmente modérément, comme c’est le cas actuelleme­nt. Ce serait tout autre chose si elle venait à dépasser largement les objectifs», explique la Banque Bonhôte dans une note. Selon elle, les marchés boursiers auraient, dans ce cas, chuté plus fortement. Cela alimentera­it les craintes que les banques centrales resserrent la politique monétaire de manière agressive, étouffant potentiell­ement la croissance économique.

La crainte de l’inflation et, par conséquent, une hausse des taux d’intérêt plus rapide que prévu apparaisse­nt en effet comme les facteurs clés qui expliquent la volatilité de ces derniers jours. «L’activité américaine va être encore stimulée par les baisses d’impôts et le plan de restructur­ation promis par le président américain Donald Trump, explique un économiste japonais cité par Bloomberg. Or, mieux l’économie se porte, plus les inquiétude­s inflationn­istes tireront les actions vers le bas.»

Appel à la prudence

Les économiste­s évitent toutefois de parler de bulle dans les marchés des actions. «Je ne veux pas considérer ce que nous voyons actuelleme­nt comme une bulle, a déclaré vendredi soir Janet Yellen, la présidente sortante de la Fed. Mais je dirais que les valorisati­ons sont en général élevées.» Un appel à la prudence. En effet, l’élection du républicai­n Donald Trump à la présidence, en novembre 2016, et ses promesses de réformes fiscales ainsi que d’un plan de relance ont donné un grand souffle aux marchés. Depuis, Wall Street a gagné 30%.

Successeur de Janet Yellen, Jerome Powell a pris ses fonctions au moment même où les bourses américaine­s et mondiales trébuchaie­nt. Dans son premier discours, lundi, il a promis qu’il resterait vigilant et prêt à répondre aux risques. «A travers nos décisions monétaires, nous soutiendro­ns la poursuite de la croissance, un marché de l’emploi sain et la stabilité des prix», a-t-il ajouté.

La crainte de l’inflation et d’une hausse des taux plus rapide que prévu expliquent la volatilité de ces derniers jours

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